Les vendeurs à la sauvette proposant cigarettes de contrebande, médicaments, voire stupéfiants, se multiplient, occasionnant un sentiment d’insécurité. Des municipalités de la petite Couronne s’alarment avant les Jeux olympiques et face aux opérations de démantèlement qui ont lieu à Paris, alors même que le prix du tabac va augmenter.
Extraits d’une grande enquête du Parisien du 20 décembre.
•• Dans cette commune aux portes de Paris, sur la ligne 7 du métro, le phénomène des vendeurs à la sauvette de « Marlboro bled » « explose depuis deux ans », selon le maire du Kremlin-Bicêtre, Jean-Luc Laurent.
Rien qu’en octobre, 410 paquets de cigarettes frelatées ont été saisis. Des paquets Marlboro ou Camel, bien imités, jusqu’à l’inscription « duty free only » vendus 5 euros … En six mois, de juin à novembre, les policiers municipaux ont récupéré pas moins de 1 963 paquets, 1 044 médicaments et même 744 grammes de stupéfiants. « On y va tous les jours » poursuit le chef, un ancien gendarme. « On les harcèle. » Seul moyen de contenir le phénomène (…)
À une poignée de kilomètres de là, sur l’autre branche de la ligne 7, c’est à deux pas de la mairie d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) que l’on retrouve le même marché parallèle. Un fléau qui fait s’interroger nombre d’élus sur les moyens de lutte, alors qu’ils sont interpellés par leurs administrés. La ville d’Ivry a ainsi lancé une invitation à une trentaine de communes limitrophes de Paris et connectées aux métros pour évoquer ce jeudi 21 décembre, entre autres, ce sujet de tranquillité publique, en collaboration avec le Forum français pour la Sécurité urbaine (FFSU).
« C’est un phénomène qui existe partout et qui crée un sentiment d’insécurité » note Sarah Misslin (PCF), adjointe à la sécurité et vice-présidente du FFSU. « On a affaire à de jeunes exilés en errance, du Maghreb ou du Moyen-Orient, des mineurs non accompagnés qui se livrent à une délinquance de subsistance, facilitée par le réseau de transports. Les villes seules n’y peuvent rien. La police passe en permanence, mais ça ne règle pas le problème. »
Il suffit de faire un tour d’horizon pour s’en rendre compte. Villejuif comme sa voisine Le Kremlin-Bicêtre alertent depuis trois ans sur le sujet. À l’autre bout de la ligne 7, en Seine-Saint-Denis, le phénomène a « quasiment doublé », selon ce policier national en poste à Aubervilliers.
•• Les vendeurs ont peu de marchandises sur eux, pour limiter les pertes. Ils trouvent des caches ou se font approvisionner par des livreurs en deux-roues ou trottinettes. Un mode opératoire de plus en plus sophistiqué, semblable à celui du trafic de cannabis. Avec son lot de rixes, de bagarres au couteau pour la lutte de territoires.
« Nous avons constaté depuis plusieurs mois davantage de tension entre les vendeurs à la sauvette » observe un gradé de la police dans le Val-de-Marne. « Depuis la rentrée, cela se traduit par des rixes, notamment à Créteil (voir 13 juin), ou du côté de Villeneuve-Saint-Georges (voir 23 novembre 2021). On a même eu un client agressé au couteau … Juste après, le 11 novembre dernier, nous avons lancé une grosse opération qui s’est traduite par la saisie, dans un hangar à Créteil, de 18 000 paquets, soit un préjudice de 100 000 euros. Cinq personnes avaient été interpellées (voir 19 novembre) ».
Car autour du phénomène, tous le constatent, s’agrège « un cortège d’agressions, de portables arrachés, de gens attaqués », relève ce policier de terrain, à Ivry. Avec des conséquences pour les commerçants. Un restaurant a dû fermer, et le buraliste « n’en peut plus ». Les vendeurs sont installés juste devant chez lui. « Des consignes ont été données à tous les équipages pour multiplier les contrôles sur place. On y va à peu près une fois par jour, mais ça ne sert pas à grand-chose », se désole le fonctionnaire.
Le maire de Pantin (Seine-Saint-Denis / voir 15 novembre et 16 octobre), Bertrand Kern (PS), a finalement l’impression de « vider la mer avec une petite cuillère ». Les vendeurs campent à Quatre-Chemins — c’est historique — et Hoche depuis deux ans, les deux arrêts les plus fréquentés et aux sorties peu nombreuses. « Le trafic a commencé lorsque le camp de migrants de la Chapelle a été évacué dans un hôtel à Hoche », souligne l’élu.
Depuis janvier, 4 827 paquets ont été saisis, 181 personnes ont été interpellées, et toutes relâchées : « Les amendes ne servent à rien, ils ne sont pas solvables, et la réponse judiciaire n’existe pas, ou alors il faut des faits de grande violence. »
•• Mais à l’approche des Jeux olympiques (JO), « avec les contrôles sur Paris, on redoute que ça n’empire », reconnaît Jean-Luc Laurent, rejoint par d’autres élus. En juin dernier, le préfet de police, Laurent Nuñez, a annoncé un plan de lutte avec la Ville de Paris axé aussi sur la vente de fruits et légumes.
« Mais il n’y a pas que Paris, la banlieue aussi a droit à la sécurité », rage le maire du Kremlin-Bicêtre, qui espère toujours plus de policiers nationaux sur sa commune. D’autant qu’une brigade spécialisée a été créée pour démanteler les réseaux à Paris. « Il en faudrait une dans chaque département », prône Bertrand Kern. Même si la consigne a été également donnée dans le 93 pour démanteler les points de deal et de vente de Marlboro bled.
Les JO, la ville de Châtillon (Hauts-de-Seine / voir 26 mai et 28 avril) s’y prépare. « Nous allons renforcer la présence durant les deux mois d’été » prévient Stéphane Jacquot (DVG) l’adjoint à la sécurité. « En temps normal, en août, on voit déjà plus de vendeurs qui tentent de s’installer. » Pas question, donc, de se laisser de nouveau submerger. Depuis 2020, grâce à une action « six heures par jour » de la police municipale, la ville a réussi à réduire de 40 à une dizaine le nombre de vendeurs. Une annexe du poste de police municipale a aussi ouvert juste à côté du métro Maison-Blanche.
Plusieurs maires gardent en tête l’idée d’empêcher l’implantation alors que de nouvelles gares vont ouvrir en juin, avant les Jeux, avec la ligne 14, puis en 2025 avec la ligne 15. Dans le Val-de-Marne, le Procureur de la République a d’ailleurs été saisi en ce sens, des élus réclamant jusqu’à un groupement local de traitement de la délinquance sur le sujet. « C’est un sujet pour les JO » reconnaît Stéphane Hardouin. « Il faut agir préventivement, adapter nos réponses. »
•• De son côté, la RATP a signé en septembre un partenariat avec les Douanes pour « lutter plus efficacement » contre ce trafic illicite. Les agents du Groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) ainsi que ceux des gares et des stations participent à 32 opérations communes depuis le début de l’année (voir 6 septembre).
La RATP mobilise aussi « des moyens particuliers à travers une cellule spécifique dédiée aux saisies apportant son assistance aux opérations sur le réseau et assurant le suivi des marchandises appréhendées ». De sorte que des opérations de lutte contre les implantations de vendeurs sont menées de façon régulière soit d’initiative, soit programmées avec les polices municipales. Elles se sont d’ailleurs amplifiées depuis septembre sur la ligne 14, avec déjà quatre opérations et deux autres prévues cette semaine.
Mais est-ce suffisant ? De nombreux maires de petite couronne attendent du Gouvernement « une prise de conscience » et « des moyens à la hauteur du fléau ». Certains sont passés à la verbalisation des consommateurs, 135 euros, ont mené des campagnes de prévention, comme à Pantin, La Courneuve…
Mais avec la hausse du prix du tabac, sur fond de crise inflationniste, ils sont unanimes : le marché noir va augmenter. Un paquet de cigarettes de contrebande est vendu entre 5 et 6 euros, deux fois moins cher qu’au bureau de tabac.