Une fenêtre sur l’actualité quotidienne de tous les événements liés directement ou indirectement au tabac
 

Cette recherche s’attache à estimer la part du tabac consommé en France échappant à la fiscalité nationale (« TAFE »). L’analyse vise à quantifier le manque à gagner pour les finances publiques et à identifier les profils des consommateurs concernés.
En s’appuyant sur des données de livraison des produits du tabac, des enquêtes représentatives et des panels cibles, nous mettons au jour une réalité complexe, influencée par la géographie, les dynamiques économiques et les comportements sociaux.

C’est ainsi que débute la synthèse du rapport établi pour le compte de la Direction générale des Douanes et la Mildeca (voir 22 octobre 2025 et 12 novembre 2024). Nous la reproduisons.

Cette recherche a été financée par la Direction générale des Douanes et Droits indirects (DGDDI) et la Mission interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites addictives (MILDECA) à partir d’un appel à projets dont les résultats ont été publiés en mars 2024. Elle a été conduite par Christian Ben Lakhdar et Sophie Massin de l’Université de Lille.

Évolution des livraisons départementales (2016-2023)

L’évolution des livraisons de tabac aux buralistes sur la période 2016-2023 fait apparaître des disparités marquées entre départements frontaliers et non frontaliers.
Les analyses montrent des baisses significatives de livraisons dans les départements limitrophes de pays où le tabac est moins cher : Moselle, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Territoire de Belfort… Ces départements ont vu les volumes de tabac livrés chuter de plus de 45 %, alors que des territoires non frontaliers comme la Vendée ou les Côtes-d’Armor n’ont connu qu’une baisse inférieure à 25 %.
En valeur, la tendance est similaire : une baisse de plus de 13 % dans les départements frontaliers contre des hausses dépassant 27 % dans certains départements non frontaliers.
L’analyse graphique montre également que la baisse des livraisons s’est accélérée après 2018 et s’est poursuivie jusqu’en 2023, renforçant l’hypothèse selon laquelle la proximité des frontières facilite l’achat transfrontalier de tabac.

Le confinement du printemps 2020, lié à la pandémie de Covid-19, a permis une observation « expérimentale » de ce phénomène. Durant cette période de fermeture des frontières, les livraisons de tabac aux buralistes ont augmenté, notamment dans les départements frontaliers, suggérant un report des achats transfrontaliers sur le réseau légal français.

À travers des simulations, nous avons estimé que si tous les départements avaient connu la même dynamique que la Vendée (département ayant connu la baisse la plus faible des livraisons de tabac), les livraisons de tabac à l’échelle nationale en 2023 auraient été supérieures de près de 7 000 tonnes.
Inversement, si tous les départements s’étaient comportés comme la Moselle, les livraisons auraient été inférieures de 12 000 tonnes. Cette méthode permet d’estimer le TAFE entre 11 et 16 % des volumes livrés, représentant de 1,5 à 3,9 milliards d’euros de pertes fiscales annuelles selon les années.

Évaluation du Tax Gap

Le Tax Gap est défini comme la différence entre les volumes de tabac effectivement consommés selon les déclarations des fumeurs (enquête EROPP 2023) et ceux livrés officiellement dans chaque département.

La carte de répartition des Tax Gaps par département montre que les plus forts écarts concernent les territoires du nord, de l’est et du sud-ouest de la France : Nord, Moselle, Pas-de-Calais, Meurthe-et-Moselle, etc. Dix départements cumulent à eux seuls 61,1 % du Tax Gap total. Ils ont tous la particularité d’être proches des frontières.

À partir de cette approche par Tax Gap, le TAFE est estimé à 8 932 tonnes de tabac, soit 19,2 % de la consommation totale pour l’année 2023, représentant un manque à gagner fiscal de 4,8 milliards d’euros. À l’inverse, certains départements (comme Paris) présentent un Tax Gap négatif, potentiellement lié au tourisme.

Un test de robustesse national confirme l’estimation par Tax Gap en plaçant l’intervalle de TAFE entre 5 267 et 10 895 tonnes pour une moyenne de 8 081 tonnes, soit de 12,3 à 22,4 % de la consommation (17,7 % en moyenne), et une perte fiscale située entre 2,8 et 5,8 milliards d’euros (4,3 milliards d’euros en moyenne).

Comment se ventile le TAFE ?

Il est difficile d’estimer la ventilation des flux échappant à la comptabilité légale des ventes du tabac, notamment les flux autres que les ventes transfrontalières. Toutefois, si nous reprenons les déclarations de sources d’approvisionnement des répondants du Baromètre 2021 et supposons qu’elles sont stables en 2023, on pourrait dire que :

  • Les achats chez les buralistes représentent 36 237 tonnes [34 009 – 38 467] puisque 79,2 % des Français déclarent acheter leur tabac chez un buraliste.
  • Les achats transfrontaliers sont de l’ordre de 6 863 tonnes [6 441 – 7 285] puisque 15 % déclarent l’acheter dans un pays limitrophe.
  • Les achats à l’étranger hors pays transfrontaliers sont de l’ordre de 275 tonnes [258 – 291] puisque 0,6 % des Français déclarent l’acheter dans un autre pays.
  • Les achats en duty-free sont de l’ordre de 777 tonnes [723 – 826] puisque 1,7 % des Français déclarent l’acheter en duty-free.
  • Les achats de rue sont de l’ordre de 366 tonnes [344 – 389] puisque 0,8 % des Français déclarent l’acheter dans la rue.
  • Et que les achats « autres » se répartissent :
    • 1 190 tonnes [1 116 – 1 263] relatif aux 2,6 % des Français qui ne se prononcent pas ;
    • 45,8 tonnes [42,9 – 46,6] relatif à 0,1 % de marge du fait des arrondis.

Qui sont les TAFEurs ?

L’analyse du profil des acheteurs de tabac échappant à la fiscalité repose sur deux sources : le Baromètre de Santé publique France 2021 et une enquête spécifique menée par la société CSA auprès d’un échantillon de convenance de 303 TAFEurs.

Les données du Baromètre révèlent plusieurs constats clés :

  • Les TAFEurs sont plus fréquemment jeunes, vivent en couple sans enfant ou seuls, et sont souvent de gros fumeurs.
  • La probabilité de recourir au TAFE est plus élevée pour les résidents de départements frontaliers ou de Paris.

Contrairement à ce qu’on aurait pu supposer, ni le niveau de revenu, ni celui d’éducation ne semblent significativement influencer ce comportement.

L’enquête réalisée auprès de l’échantillon de convenance corrobore ces résultats : les répondants sont plutôt issus de catégories sociales favorisées, avec une dépendance au tabac modérée à forte. Plus de 60 % d’entre eux ont acheté du TAFE dans les 30 derniers jours, souvent à l’étranger, mais aussi dans des commerces, chez des proches ou sur Internet. Le prix constitue certes la motivation principale (74 %), mais d’autres raisons apparaissent : voyages fréquents, horaires peu pratiques des buralistes, volonté de ne pas enrichir l’État, ou solidarité envers les vendeurs de rue.

Enfin, 67 % des TAFEurs n’ont pas le sentiment de frauder l’État, bien qu’ils soient majoritairement au fait de la réglementation.

Conclusion

Les estimations issues de cette recherche confirment que depuis 2018, et en fonction des années, le TAFE concerne environ 11 à 20 % du marché du tabac en France, avec une perte fiscale annuelle comprise entre 1,5 et 5,8 milliards d’euros.

En 2023, on peut raisonnablement estimer le TAFE entre 5 267 et 10 895 tonnes pour une moyenne de 8 081 tonnes, soit de 12,3 à 22,4 % de la consommation (17,7 % en moyenne), et une perte fiscale située entre 2,8 et 5,8 milliards d’euros (4,3 milliards d’euros en moyenne).

Les achats transfrontaliers constituent la principale source de contournement fiscal, bien loin des scénarios alarmistes sur le marché noir présentés par les études financées par l’industrie du tabac.

Le profil des TAFEurs est plus hétérogène qu’on ne l’imagine : les jeunes actifs des zones frontalières ou urbaines sont les plus concernés, indépendamment de leur situation sociale.