Depuis le temps qu’elle était demandée par les parties-prenantes impliquées dans la filière tabac ou dans la lutte contre les addictions … on n’osait plus y croire : enfin, il va y avoir une étude officielle sur le marché parallèle du tabac !
Il est sûr qu’une étude à caractère officiel sur ce grave sujet faisait cruellement défaut.
1•• En effet, de quoi disposions-nous, jusqu’à maintenant, pour appréhender l’impact et l’évolution du marché parallèle du tabac ? (Le marché parallèle, c’est-à-dire tout ce qui est consommé en France mais ne provient pas de chez un buraliste et qui échappe donc à la fiscalité.)
… De statistiques officielles (en constante augmentation) réalisées par les Douanes sur leurs saisies tabac : mais ces précieuses données ne sont qu’un indicateur et ne suffisent pas. Par exemple, les statistiques nationales de la Gendarmerie et de la Police nationale – qui font aussi beaucoup de saisies tabac – ne sont pas publiées.
… Des résultats d’enquêtes de type « ramasse-paquets » et de la synthèse réalisée, depuis 2012, par KPMG (voir 9 et 12 septembre 2024) avec des chiffres proprement hallucinants par leur ampleur (et dont la méthodologie est expliquée), mais qui ne sont pourtant pas considérés comme « recevables » par l’administration et nombre de médias … car frappés de l’opprobre d’un financement par l’industrie du tabac.
… Des estimations statistiques de l’OFDT (Office francais des Drogues et des Toxicomanies) s’appuyant uniquement sur une simple déclaration de fumeurs interrogés par téléphone (voir 1er juin 2024).
2 •• C’est pour renforcer la connaissance du marché parallèle que le Plan Tabac 2023-2025 de lutte contre les trafics (voir 6 décembre 2023) indiquait parmi ses objectifs : « … engager les travaux en partenariat avec la Mission interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites addictives / Mildeca pour améliorer le niveau de compréhension, d’analyse, ainsi que l’estimation du marché parallèle de produits du tabac. »
Il s’avère que ces « travaux « ont mis du temps à être lancés … Malgré l’urgence du sujet. Il a fallu attendre plus d’un an pour que la Mildeca publie, en mars de cette année, un Appel à Projets (AAP) baptisé « Recherches sur le marché du tabac échappant à la fiscalité ». Pour une soumission à faire avant le 30 mai et une communication des résultats le 15 juin.
À noter que toute entité ayant des liens avec l’industrie du tabac est formellement exclue de cet Appel à Projets. Comme de bien entendu.
3 •• Cet Appel à Projets s’articule en 3 lots :
• Lot 1 : « une estimation de la part du marché français du tabac échappant à la fiscalité » ;
• Lot 2 : « une étude portant sur la vente de tabac de contrebande dans les points de vente de rue – dit à la sauvette – et les points de ventes illicites de tabacs » ;
• Lot 3 : « une étude portant sur les achats transfrontaliers de tabac ».
4•• Le 14 octobre, avec 4 mois de retard, la Mildeca a publié les résultats de l’Appel à Projets. Ils ont été repris aussi sur le site des Douanes (mais l’Appel à Projets y est curieusement présenté « pour financer des recherches sur le marché du tabac échappant à la fiscalité »).
Les lots 1 et 2 sont attribués aux professeurs des universités Christian Ben Lakhdar (voir 7 octobre 2014 et 14 novembre 2022) et Sophie Massin (projet TAFE, TAbac échappant à la Fiscalité nationalE). Le lot 3 est confié au docteur Louis Braverman (projet « La contrebande de tabac dans la rue: étude sur les produits, la vente et les usages »).
5 •• A la lueur de ces informations, des questions nous viennent à l’esprit.
• 1ère question : quelle est la logique dans le découpage des 3 lots ? On peut estimer qu’il soit nécessaire de connaître au préalable les études des lots 2 et 3 avant d’envisager l’estimation du lot 1.
• 2ème question : ces projets sont-ils déjà financés ou … à financer ? Généralement ce genre d’Appels à Projets parait avec une enveloppe budgétaire. Ce n’est pas le cas ici. Se pose donc encore le sujet du budget, de sa mise à disposition et des délais de remise effective des travaux … Cette année ? En 2025 ? En 2026 ?
• 3ème question : à aucun moment la démarche conduisant à ces Projets n’a inclus – ne serait-ce que pour une simple consultation préalable – les parties-prenantes que sont la Police nationale, la Gendarmerie nationale, d’autres acteurs de la filière, des représentants des collectivités territoriales affectées par la vente à la sauvette … pourquoi ? Les mêmes parties-prenantes étant exclues d’un éventuel co-pilotage de cette enquête en trois lots, cela va sans dire.
• 4ème question : le cahier des charges propose, pour nourrir ces études, les données de Santé publique France, de l’OFDT (Observatoire français des Drogues et des Conduites addictives) et des Douanes. Cela sera-t-il suffisant pour obtenir une évaluation de la réalité du marché parallèle tel qu’il est dans ses multiples facettes ? On regrettera, encore une fois, que les données de la Police nationale et de la Gendarmerie ne soient pas prévues dans l’étude.Ou que les statistiques douanières ne fassent pas apparaître une distinction entre produits de contrefaçon et de contrebande.
6•• Un vœu : le fait que les projets retenus soient confiés, en fait, à des personnes notoirement engagées dans la lutte anti-tabac (ce qui est leur droit) annonce peut-être une évolution d’opinion de la part de ces associations anti-tabac qui, jusqu’à maintenant, sont portées à minimiser la réalité actuelle du tabac de contrebande.
Dont les estimations les plus courantes sont souvent caricaturées par ces associations comme une « manipulation » de l’industrie du tabac ou une « exagération des buralistes ». Par exemple, Louis Braverman (titulaire du lot 3) mettait en avant récemment sur France Culture (« Cigarettes à la sauvette : pas de fumée sans fric … » / le 21 mai que « la contrebande existait avant la Révolution française … » et que « la hausse des prix du tabac n’est pas une cause mais un contexte … »
Que ces projets – débouchant sur la première estimation officielle de la contrebande de tabac en France – permettent une réelle connaissance du phénomène dans notre pays et l’explication de ses causes au-delà des polémiques : c’est un vœu. En tout cas ces travaux – quand ils s’effectueront effectivement – devraient être suivis de très près. Par les parlementaires notamment.