Terra Nova se présente comme un « think-tank progressiste » et dispose d’une certaine influence dans les cercles politiques, médiatiques ou de hauts fonctionnaires. On a connu ses positions favorables au cannabis (voir 4 octobre 2016, 23 octobre 2020).
Et le moins que l’on puisse dire est que cette fondation n’est pas défavorable aux outils « traditionnels » de la lutte anti-tabac : paquet neutre, prix, etc … Mais notre attention a été attirée par une note de la fondation, publiée le 10 novembre. Son titre : « l’efficacité des politiques publiques : 3 cas – sécurité routière, tabac, alcool – et quelques questions ». Son auteur est un universitaire, Christian Ben Lakhdar.
Nous reprenons des extraits de la note à propos du tabac. Mais on peut déjà donner ses conclusions : la politique de lutte contre le tabagisme par les prix a montré toutes ses limites.
•• Tabac : les résultats sont décevants
La transition énergétique ne réussira que si l’on parvient à changer les usages dans un grand nombre de situations de la vie quotidienne. Mais comment change-t-on les comportements ? Les économistes comptent beaucoup sur le signal prix mais il existe d’autres manières de modifier les habitudes. L’exemple des réussites inégales dans trois domaines largement investis depuis plusieurs décennies – la sécurité routière, la consommation de tabac et celle d’alcool – livre des conclusions contrastées (…)
(…) Après deux décennies de lutte contre le tabagisme, un nombre non négligeable de Français et de Françaises fument toujours … Bien sûr les prévalences sont moindres qu’il y a une vingtaine d’années mais en comparaison avec d’autres pays et alors que la France est une des bonnes élèves en matière de contrôle du tabac en Europe et au-delà, les résultats sont décevants (…)
•• La France fait moitié moins bien qu’en Australie
La France est signataire de la Convention Cadre de Lutte Anti-Tabac (CCLAT) de l’OMS depuis 2005. C’est encore une fois Jacques Chirac qui lançait quelques années auparavant un ambitieux plan de lutte contre le cancer en France. L’Institut National du Cancer (INCa) est créé en 2005. La lutte contre le tabagisme se met progressivement en place et commence par un coup d’éclat : l’augmentation des taxes sur les cigarettes de plus de 23 % entre 2003 et 2004. Les ventes de tabac en France connaissent une baisse inédite et les prévalences d’usagers diminuent de 2,5 points entre 2000 et 2005.
S’ensuivront nombre de mesures importantes de lutte contre le tabagisme : interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, remboursement des substituts nicotiniques, renforcement des avertissements sanitaires sur les paquets de tabac ainsi que l’instauration du paquet neutre, interdiction de vente aux mineurs de moins de 18 ans, création d’un fonds addiction de financement de la recherche sur les conduites addictives, mise en œuvre du Mois sans Tabac … j’en passe et des meilleures …
Le résultat de l’ensemble de ces mesures ne semble pas si mauvais.
Mais alors que la France et l’Australie mettent en œuvre les mêmes outils de contrôle du tabac, à savoir ceux recommandés par la CCLAT de l’OMS, et ce à des niveaux d’intensité particulièrement élevés, l’Australie divise par deux ses prévalences d’usage du tabac entre 1995 et 2021 (de 26,6 % à 12,9 %) tandis que la France les voit passer de 32,9 % en 1995 à 24 % en 2019 et même 25,5 en 2020, soit une diminution de moins de 23 %.
Dit autrement, avec les mêmes outils, la France fait moitié moins bien que l’Australie (…)
•• L’utilisation de la fiscalité tabac souffre d’un écueil
Un constat porte sur l’existence de possibilité de report ou de contournement. La politique de lutte contre le tabagisme et en particulier l’utilisation de la fiscalité sur les produits du tabac souffre d’un écueil important.
Les fumeuses et les fumeurs ont en effet la possibilité de contourner les augmentations de taxes en se procurant du tabac à l’étranger (Belgique, Luxembourg, Andorre ou encore Espagne pour ne citer que ces quelques pays) ou au marché noir (sur internet ou encore sur des points de vente clandestins de plus en plus visibles dans nos villes).
Se posent ici deux questions. L’une porte sur l’échelle sur laquelle doit reposer la mise en œuvre des politiques publiques : locale, nationale, européenne, voire mondiale ? L’autre porte sur l’efficacité de l’outil répressif.
On peut en effet se demander si la lutte contre les marchés souterrains, qu’ils soient du tabac ou d’autres est efficace.