L’Hémicycle est une revue professionnelle destinée à l’ensemble des acteurs de la vie parlementaire (Assemblée nationale et Sénat). Dans son dernier numéro, on y trouve une contribution de Grégoire Verdeaux, vice-président en charge des relations extérieures de Philip Morris International (voir 10 février et 17 janvier).
•• Logista a annoncé, en janvier dernier, une baisse de plus de 6 % des ventes de cigarettes en France pour 2021 (voir 9 janvier). Dans un texte publié récemment dans La Tribune, vous évoquez pourtant « une baisse en trompe l’œil ? ». Pourquoi ?
Grégoire Verdeaux : C’est très simple. En France, vu la structure du marché, une baisse des ventes de cigarettes chez le buraliste ne correspond pas forcément à une baisse de la consommation et donc de la prévalence tabagique.
Pour donner un ordre de grandeur, sur un marché national annuel qui correspond à 50 milliards de cigarettes vendues, 15 milliards ne sont pas achetées chez le buraliste mais via des marchés parallèles qui explosent.
D’ailleurs, les chiffres de Santé Publique France sur la prévalence tabagique ne diminuent pas drastiquement au fil des années. Ils ont même légèrement augmenté pendant la crise sanitaire en 2020. Donc cette baisse de 6 % traduit un simple ajustement technique après une année de confinement, et le fait que les fumeurs sont de plus en plus nombreux à se fournir en dehors du réseau légal.
•• Ces 15 milliards de cigarettes « hors buraliste », d’où viennent-elles ?
G. V. : Elles proviennent de divers canaux. Il y a, pour les frontaliers, la possibilité de se fournir dans des pays limitrophes à la fiscalité plus intéressante. Mais, constat beaucoup plus préoccupant, le développement de la cigarette illicite.
C’est malheureusement une « exception française », car le marché français attire 60 % de l’ensemble des cigarettes illicites de toute l’Union européenne. On parle ici de contrebande organisée avec de très gros volumes qui sont acheminés par les mêmes filières que d’autres trafics.
Et puis il y a un phénomène nouveau, celui des cigarettes de contrefaçon, produites dans des usines clandestines que maîtrisent le crime organisé international. Ces cigarettes sont produites en dehors de tout contrôle sanitaire et sont composées de choses tout à fait épouvantables. Elles sont vendues sous le manteau entre 3 et 5 euros et ce sont bien entendu les fumeurs les plus modestes, réduits à s’approvisionner sur ces marchés parallèles en raison de la hausse des prix, qui sont ainsi les plus exposés.
•• Précisément, vous affirmez que tous les fumeurs ne sont pas égaux face aux politiques gouvernementales en matière de prévalence tabagique.
G. V. : Clairement. Fumer des cigarettes en France est devenu un marqueur social. Et cela confirme que se référer à une moyenne nationale n’est pas très révélateur. Il faut plutôt regarder les chiffres par catégorie socio-professionnelle.
Et là, vous observez que la prévalence tabagique a baissé très fortement chez les cadres supérieurs et autres milieux aisés, s’établissant à environ 12 % de cette population. En revanche, 44 % des chômeurs fument quotidiennement dans notre pays… En fait, la stratégie française est conservatrice : elle s’appuie sur les piliers classiques que sont les messages de prévention, l’incitation et l’aide à la cessation – dont l’efficacité demeure assez limitée – et évidemment, le levier fiscal qui consiste à augmenter les taxes et donc le prix du paquet pour dissuader les fumeurs. Aujourd’hui, le paquet de cigarette coûte entre 9,50 euros et 10,50 euros, avec au passage, 84 % de ce prix de vente versés au budget de l’État.
Autrement dit, c’est le pouvoir d’achat des fumeurs les plus modestes qui supporte la ponction fiscale la plus forte : en moyenne près de 2 000 euros par an. Et comme la prévalence ne baisse pas parmi les personnes les plus modestes, cela interroge forcément, en termes de justice sociale, mais aussi sanitaire. Cette politique conduit dans une impasse.
•• Partant de là, quelles sont les solutions adoptées à l’étranger, dont la France pourrait s’inspirer ?
G. V. : On pourrait citer l’exemple de la Suède. Dans ce pays, dès les années 60, on a encouragé la consommation du snus, c’est-à-dire une sorte de tabac « à chiquer ». Comme il n’y a pas de combustion, principale cause des maladies liées à la cigarette, la Suède affiche l’un des taux de cancer du poumon les plus bas d’Europe.
Autre exemple, celui du Royaume-Uni : on y facilite désormais l’accès au vapotage comme alternative à la cigarette, ce qui a eu des effets tout à fait spectaculaires puisque la prévalence tabagique au Royaume-Uni est tombée à 12 %, soit la moitié de la prévalence française en moyenne.
Ce qui est intéressant, c’est la décision récente du gouvernement britannique d’autoriser la prescription de la cigarette électronique par le NHS, l’équivalent de la Sécurité sociale. En clair, nos amis anglais constatent que la cigarette électronique est un outil alternatif extrêmement efficace et font donc le choix fort d’une facilité d’accès offerte aux catégories sociales les plus défavorisées.
La Suède est gouvernée à gauche depuis dix ans, le Royaume-Uni à droite, ça prouve bien que ce n’est pas une question d’idéologie mais de pragmatisme.
•• Avec un impact sanitaire objectivé ?
G. V. : Oui. Ces produits sans combustion dégagent entre 90 et 95 % de substance chimique toxique en moins. Donc il y une exposition très fortement réduite. Sur cette base, il devient raisonnable d’approcher le principe de précaution un peu différemment, parce que décourager l’accès aux alternatives signifie de facto réduire les chances de voir les fumeurs arrêter la cigarette. Avec les conséquences que l’on sait.