Loin d’influencer le comportement des fumeurs vers un arrêt de la cigarette, la fiscalité du tabac les pousse de plus en plus dans les pas du commerce illicite …
Jean-Michel Fauvergue (ancien chef du RAID/ Police nationale, ancien député de Seine-et-Marne / voir 26 juin) signe dans La Tribune, avec un collectif de dix parlementaires, un plaidoyer contre « une politique de taxation dont les conséquences n’ont pas été convenablement étudiées en termes de sécurité ».
Nous reprenons intégralement le texte de cette tribune … qui tombe à point :
Le gouvernement Barnier fait face à une situation budgétaire critique, que Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, décrit comme « la plus délicate de la Ve République ». Acculé à devoir trouver des économies et des recettes de toutes parts, certains voudront sans doute activer l’un des leviers habituels en matière fiscale : l’augmentation des taxes sur les produits du tabac.
L’ancien ministre du Budget comme l’actuel alertent pourtant sur les augmentations de fiscalité sur le tabac pendant que certains continuent de penser qu’une hausse massive des taxes résoudrait le problème et comptent proposer ce durcissement durant l’examen budgétaire.
Pourtant, hormis chez les jeunes où elle a commencé à baisser, la consommation de tabac reste élevée (en 2022, 31,8 % des 18-75 ans déclarent fumer, dont 24,5 % quotidiennement / voir 31 mai 2023). Ainsi, l’accroissement des prix de vente semble freiner le tabagisme chez les jeunes, mais ne parvient pas à le faire reculer chez les adultes.
•• La stratégie consistant à tout miser sur la taxation à l’exclusion de toutes autres mesures relève de la pensée courte et magique, dont nous percevons aujourd’hui les effets délétères sur la santé, la criminalité, et in fine sur le budget de la nation.
À trop augmenter cette fiscalité « comportementale », l’État se retrouve confronté à l’hypothèse économique de Laffer, théorisant l’idée que « les effets favorables d’un taux d’imposition élevé sur les recettes de l’État disparaissent lorsque ce taux devient trop élevé », car, à ce moment précis, le consommateur va se tourner vers des solutions moins chères.
C’est le marché de la contrebande et de la contrefaçon qui se charge, en France, de procurer ces « solutions ». Il ne saurait en être autrement : la majorité des fumeurs fait partie des classes sociales les plus précaires. Faute de trouver des cigarettes légales à un prix abordable, elle se tourne logiquement vers des fournisseurs proposant des tarifs trois fois moins chers.
Ainsi, loin d’influencer le comportement des fumeurs vers un arrêt de la cigarette, la fiscalité du tabac les pousse de plus en plus dans les pas du commerce illicite. La puissance publique alimente ainsi le monstre qu’elle veut combattre et participe à son propre désordre en favorisant l’installation d’une délinquance de réseau, encore embryonnaire il y a peu.
•• La rapidité de l’évolution de cette nouvelle criminalité, constatée sur de plus en plus de secteurs de notre territoire national, est proportionnelle au sentiment bien ancré chez l’acheteur de ne se rendre coupable d’aucun délit en se procurant un produit dont la consommation est autorisée par la loi.
C’est cette différence psychologique fondamentale avec les produits stupéfiants qui explique l’accroissement accéléré des trafics de cigarettes. Les organisations criminelles en profitent et tirent avantage de chaque augmentation pour asseoir leur hégémonie. Ce sont ainsi de véritables mafias qui voient le jour et s’adaptent quotidiennement, devenant progressivement les égales des narcotrafiquants.
Les affaires de rixes, de règlements de comptes, de cambriolages de buralistes, reprises dans les médias n’illustrent que la surface d’un phénomène de grande ampleur, tentaculaire et peu à peu incontrôlable, en témoigne la violence extrême des événements survenus dans le quartier Marx-Dormoy à Paris, impliquant de nombreux ressortissants afghans, pour contrôler le trafic de cigarettes de contrefaçon (voir 2 novembre).
•• En 2023, 521 tonnes de tabac de contrebande et de contrefaçon ont été saisies par les services de Douane, contre 284,5 tonnes en 2020. Cette hausse, tout autant que le trafic avec les pays voisins, en particulier dans les départements transfrontaliers, témoigne de l’adaptation et de la professionnalisation de ce trafic, qui suit les mêmes modes opératoires et le même développement exponentiel que celui des stupéfiants.
Il est désormais urgent, compte tenu de son niveau d’organisation et de violence, de la masse d’argent blanchie et de la rapidité de son expansion sur notre territoire, de considérer cette nouvelle forme de criminalité comme un fléau du même type que le trafic de drogues (voir 9 novembre).
Les services de Police, de Douane et de Gendarmerie confrontés à ce nouveau défi s’inquiètent de la trajectoire de cette menace, favorisée par une politique de taxation dont les conséquences n’ont pas été convenablement étudiées en termes de sécurité.
•• C’est sans doute cette préoccupation qui animait l’ancien ministre délégué au Budget, Thomas Cazenave, quand il s’est déclaré, en juin dernier, opposé à toute nouvelle augmentation du prix du paquet de cigarettes, arguant de leurs effets nuls, voire négatifs. La fiscalité ne peut plus être le seul levier en matière de lutte contre le tabagisme.
Elle doit impérativement être accompagnée d’une hausse des moyens alloués à la prévention du tabagisme et à l’accompagnement des fumeurs vers l’arrêt du tabac ou vers des produits alternatifs tels que la cigarette électronique. La réponse pénale doit aussi être à la hauteur des enjeux soulevés, avec des peines lourdes et réellement appliquées. Pour lutter efficacement contre le tabac, la compréhension du phénomène dans toute sa complexité et la diversification des stratégies sont les seules clefs d’une solution de long terme.
Liste des co-signataires :
Aurore Bergé (députée des Yvelines, Ensemble pour la République) ;
Émilie Bonnivard (députée de Savoie, Républicaine) ;
Lise Magnier (députée de la Marne, secrétaire de l’Assemblée nationale, Horizons & Indépendants);
Violette Spillebout (députée du Nord, Ensemble pour la République) ;
Thibault Bazin (député de Meurthe-et-Moselle, Droite Républicaine) ;
Christophe Blanchet (député du Calvados, Les Démocrates) ;
Christophe Marion (député du Loir-et-Cher, Ensemble pour la République) ;
Éric Pauget (député Alpes-Maritimes, Droite Républicaine) ;
Éric Woerth (député de l’Oise, Ensemble pour la République, ancien Ministre);
Jean-Baptiste Blanc (sénateur du Vaucluse, vice-Président de la Commission des Finances, Les Républicains).