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26 Juin 2024 | Trafic
 

La lutte contre le tabagisme en France est compliquée par la prolifération du marché noir de cigarettes, qui sapparente au trafic de stupéfiants. Malgré des opérations de saisie, la répression insuffisante et les marges élevées favorisent ce trafic illicite, mettant en danger la santé publique.

Ainsi démarre une tribune, publiée ce 25 juin sur JDD.fr, signée dun collectif sous la houlette de Jean-Michel Fauvergue (ancien chef du RAID Police nationale, député de Seine-et-Marne 2017-2022).

D’un côté, la commission sénatoriale préconise une augmentation annuelle d’au moins 3,25 % du prix des produits du tabac hors inflation jusqu’en 2040 pour lutter contre le tabagisme (voir 10 juin 2024). De l’autre, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, qui s’oppose à cette mesure, il est difficile de discerner une stratégie claire (voir 17 juin 2024).

•• Pourtant, l’État a démontré sa capacité à mobiliser des moyens conséquents pour combattre la délinquance et la criminalité organisée. En témoigne l’opération « Place nette XXL » menée par le ministère de l’Intérieur contre le trafic de stupéfiants, qui affiche des résultats encourageants dans tous les départements pilotes.

Cette mobilisation denvergure doit servir dexemple pour lutter contre cette autre menace silencieuse : le trafic de cigarettes contrefaites.

Le gouvernement, conscient de l’ampleur du problème, a mis en place ces deux dernières années un dispositif en deux phases, baptisé Colbert I (voir 12 juin 2023) et Colbert II (voir 30 mars 2024). Il s’agissait de coordonner, pendant une semaine, l’ensemble des services français afin de réaliser des opérations de contrôle et de saisie.

Colbert I, en juin 2023, a déployé 5 000 agents, dont 2 800 douaniers, qui ont saisi 9 tonnes de cigarettes de contrebande ou de contrefaçon. L’expérience a été renouvelée en mars 2024 – Colbert II – avec 10 000 agents, dont 5 000 douaniers : 27 tonnes de cigarettes ont été saisies, accompagnées de découvertes importantes de produits stupéfiants et d’armes

Les moyens habituellement alloués aux Douanes installées dans le plus grand centre de tri postal, à Chilly-Mazarin, ne lui permettent de vérifier qu’environ 1 % des colis introduits sur le territoire. C’est peu, même si, au niveau national, par vecteurs routiers, maritimes et aériens, ont malgré tout été saisies 650 tonnes de tabac illicite en 2022 et 521 tonnes, en 2023.

Une tonne équivaut à 50 000 paquets de cigarettes, soit 1 350 000 paquets pour 27 tonnes. Un rapide calcul laisse imaginer l’immensité du phénomène qui, d’année en année, se développe, mute et s’enracine durablement dans l’économie parallèle.

•• Largument du tabac, considéré comme « drogue légale », laisse à penser que le trafic des cigarettes na rien de commun avec les produits stupéfiants en termes dincidence sur la sécurité, la qualité de vie et la santé des Français. Cest tout le contraire.

20 % environ de la consommation de tabac en France provient du marché noir. Nombreux sont les trafiquants de stupéfiants qui se reconvertissent dans ce domaine, estimant, à juste titre, risquer une moindre sanction pénale, tout en conservant des marges de profit sensiblement identiques à celles de leur ancien business.

Il existe deux types de trafic. Dune part, celui de la contrebande, qui voit les trafiquants se fournir régulièrement, en grandes quantités, dans des pays où les cigarettes sont moins chères – Biélorussie, Moldavie, pays du Maghreb, Sénégal, Vietnam, etc.

Dautre part, celui de la contrefaçon, organisé et développé par la grande criminalité et les mafias. Il ne s’agit plus simplement d’acheter et revendre des cigarettes, mais de les fabriquer et d’inonder le marché. Ces produits sont écoulés dans certains commerces de proximité, et par une myriade de vendeurs à la sauvette – souvent des clandestins, dont des mineurs non accompagnés à la merci des organisations criminelles.

Pour tous ces revendeurs, le seul risque en cas de contrôle est la saisie de la marchandise et une amende, qu’ils ne paieront jamais – ce qui participe à l’image d’un trafic de cigarettes « gentillet » et communément accepté par l’opinion publique.

•• Pourtant, la typologie de ce trafic ressemble à celle du trafic de stupéfiants : usines clandestines, convois avec véhicules ouvreurs, nourrices, blanchiment d’argent – comptabilisé en milliards d’euros par an, injectés dans l’économie licite de notre pays, l’infectant durablement.

Par ailleurs, afin de générer des marges toujours plus importantes, les contrefacteurs s’affranchissent des normes de fabrication en produisant des cigarettes impropres à la consommation, dont la composition a de quoi inquiéter : plastiques, excréments, chaux, poussières diverses, la liste est longue … Ce type de produit est encore plus dangereux que la cigarette légale, dont les méfaits sur la santé ne sont plus à démontrer.

Et la situation dégénère.  Il y a quelques années encore, les usines clandestines n’existaient pas en France. En 2023-2024, pas moins de 4 unités de production ont été démantelées, capables de produire chacune 1 à 2 millions de cigarettes par jour, distribuées dans tous les territoires : métropoles, villes moyennes, et même villages, une vraie gangrène, avec son lot de rivalités et de règlements de comptes pour la gestion du secteur, à l’instar des points de deal (voir 17 janvier et 20 décembre 2023).

•• Si ce marché prospère, cest quil trouve de nombreux clients : la trop faible répression des acheteurs, les sanctions pénales trop peu dissuasives, et la hausse des taxes sur le tabac favorisent ce marché parallèle, attirant les fumeurs en baisse de pouvoir d’achat.

Les parquets commencent à réagir et à sortir ce trafic du cadre strictement fiscal pour en faire une thématique de sécurité publique, reste à appliquer plus systématiquement les sanctions. L’intérêt de notre pays est d’ériger la lutte contre le trafic de cigarettes en priorité nationale, avec pour objectif d’enrayer et d’assécher le marché noir, tout en accentuant les mesures de prévention.

Enrayer ce type de trafic conférerait à la France une expertise précieuse dans la lutte contre lensemble des contrebandes et contrefaçons, notamment dans le domaine des stupéfiants, quelles que soient les évolutions légales et sociétales à venir.

Les cosignataires :

Christophe Blanchet, ancien député de la 4ᵉ circonscription du Calvado, Renaissance
Katia Burrier, conseillère municipale de Saint-Maurice dans le Val-de-Marne, Horizons. Responsable conformité bancaire (Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme)
Hervé Chevreau, maire d’Épinay-sur-Seine et vice-président de Plaine Commune
Stephen Hervé, maire de Bondy, Seine-Saint-Denis – Les Républicains
Linda Kebbab, policière et déléguée nationale du syndicat Unité
Lise Magnier, ancienne députée de la 4e circonscription de la Marne, Horizons et apparentés
Stéphane Mazars, ancien député de la 1re circonscription de l’Aveyron, Renaissance
Louise Morel, ancienne députée de la 6e circonscription du Bas-Rhin, Démocrate MoDem et Indépendants
Naïma Moutchou, ancienne députée de la 4e circonscription du Val-d’Oise, Vice-présidente de l’Assemblée nationale – Horizons et apparentés
Didier Parakian, ancien député de la 1re circonscription des Bouches-du-Rhône – Renaissance
Éric Poulliat, ancien député dans la 6e circonscription de la Gironde, Renaissance
Patrick Vignal, ancien député de la 9e circonscription de l’Hérault – Renaissance