Alors que de plus en plus de voix s’élèvent contre l’excès de réglementations et de taxes, la Mission d’Évaluation et de Contrôle de la Sécurité sociale (MECSS) du Sénat n’a pas peur de proposer un alourdissement des unes et des autres sur le tabac, l’alcool, le sucre, le sel et le gras. Des propositions délirantes qui visent à s’immiscer un peu plus dans la vie privée des Français.
C’est ainsi que débute une tribune de l’IREF (Institut de Recherches économiques et fiscales / voir 11 mars 2024), publiée dans La Lettre des Libertés le 7 juin, et que nous reprenons. Cette tribune est signée Patrick Coquart.
Jean-Philippe Delsol et moi-même avons été entendus, le 15 mars 2024, par les deux rapporteures (euses) de la Mission d’Évaluation et de Contrôle de la Sécurité sociale (MECSS / voir 31 mai 2024) du Sénat, en raison des nombreux travaux que l’IREF a réalisé sur la fiscalité comportementale.
En effet, le programme de travail pour l’année 2024 de la MECSS du Sénat comprenait un contrôle sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. Pour mener à bien ce travail, deux sénatrices ont été nommées co-rapporteures : la centriste Élisabeth Doineau et la communiste Cathy Apourceau-Poly.
Elles viennent de rendre leur rapport et malheureusement – mais nous ne nous faisions guère d’illusions – nous n’avons pas été entendus. Les propositions des sénatrices sont même à l’exact opposé de celles de l’IREF.
•• UN ÉTAT DES LIEUX CONTESTABLE
Le rapport reprend à son compte les chiffres qui circulent ici et là (difficilement vérifiables) sur la mortalité due au tabagisme (70 000 morts prématurées chaque année), à l’alcoolisme (40 000) et à l’obésité (27 000). Pour ces personnes est-il précisé, « le nombre moyen d’années de vie perdues est estimé à 14 ans pour le tabac, 17 ans pour l’alcool et 8 ans pour l’obésité morbide ».
Tout cela aurait un coût social de plus de 100 milliards d’euros comprenant la valeur des vies humaines perdues, la perte de qualité de vie pour les personnes concernée et les pertes de production des entreprises et des administrations.
Il convient d’y ajouter le coût pour les finances publiques, défini comme correspondant essentiellement au coût des soins, net des ressources fiscales. Il serait de 14,5 milliards d’euros (1,7 milliard d’euros pour le tabac ; 3,3 milliards d’euros pour l’alcool et 9,5 milliards d’euros pour l’obésité).
Si les pathologies associées à la consommation de tabac et d’alcool et à l’obésité dégradent le solde public de plusieurs dizaines de milliards d’euros, il convient de prendre en compte les recettes publiques importantes générées par les taxes comportementales. Au total, 18,5 milliards d’euros (14 milliards d’euros pour le tabac, 4 milliards d’euros pour les boissons alcoolisées et 500 millions d’euros pour les boissons non alcoolisées).
L’IREF a montré que ces calculs sont ineptes. Nous n’y reviendrons pas (voir 9 septembre 2023).
La place nous manque pour citer toutes les erreurs et approximations qui émaillent le rapport. Nous ne pouvons cependant pas nous empêcher de nous arrêter sur la décomposition du prix d’un paquet de cigarette. Il est indiqué que pour un paquet de 20 cigarettes vendu 12,50 euros il y a 8,31 euros d’accises, 2,08 euros de TVA et 1,27 euro de rémunération du buraliste. Le reste, soit 0,84 euro, serait « la marge du fabricant ».
C’est bien évidemment faux, il s’agit du prix de vente hors taxes du paquet de cigarettes. Et non pas de la marge du fabricant, différence entre le prix de vente du produit et son prix de revient. Si la marge est égale aux prix de vente, c’est que les coûts de production sont nuls. C’est bien évidemment impossible.
•• DES PROPOSITIONS QUI MANQUENT DE PERTINENCE
S’agissant du tabac, le rapport de la MECSS reconnaît qu’en Europe, la France est parmi les États qui ont le prix du paquet de cigarettes le plus élevé. Malgré cela, contrairement à la quasi-totalité des États couverts par les statistiques de l’OCDE, la France n’a pas connu de baisse de la prévalence du tabagisme depuis les années 1960. Un tel constat devrait amener à changer de politique de lutte contre le tabagisme.
Or, Mmes Doineau et Apourceau-Poly se sont contentées de faire des propositions qui s’inscrivent dans la continuité des solutions précédemment mises en œuvre. Leur mesure phare est l’augmentation du prix des produits du tabac d’au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu’en 2040, par la fiscalité et par une augmentation du taux de rémunération des buralistes. L’objectif est de doubler le prix du paquet de cigarettes d’ici 2040 pour le porter à 25 euros.
En revanche, « par souci de réalisme, affirment-elles, les rapporteures ne [font] pas de proposition d’augmentation de la fiscalité de l’alcool ». Si la piste d’un prix minimum par unité d’alcool est envisagée, elle est abandonnée au profit de l’instauration d’un prix plancher d’achat des boissons alcoolisées aux producteurs (afin que l’augmentation des marges ne soit pas captée par les distributeurs). Bref, c’est le retour des prix administrés qui est préconisé.
Les sénatrices veulent également :
• interdire la publicité pour l’alcool sur internet ;
• réformer le barème de la taxe sur les boissons sucrées, en augmentant ses taux et en limitant le nombre de tranches d’imposition, afin de renforcer son efficacité et d’accentuer sa visée comportementale ;
• fixer des quantités maximales de sucre, de sel ou de matières grasses pour certaines catégories d’aliments ;
• mettre en place le chèque alimentaire prévu par la loi « Climat et résilience » de 2021, et expérimenter un dispositif de soutien à l’achat de fruits et légumes par les ménages disposant de ressources modestes ;
• interdire à la télévision et sur internet les publicités pour des aliments de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants de moins de 17 ans ;
• rendre obligatoire le Nutri-Score dans toute l’Union européenne.
•• INTERDICTIONS ET TAXATION
Fallait-il vraiment entendre près de 80 personnes, passer des heures à lire des documents et consacrer des ressources importantes à rédiger ce rapport ? Il n’y est question que d’interdictions et de taxes, à tel point que nous pouvons nous demander si Cathy Apourceau-Poly, la sénatrice communiste du Pas-de-Calais, n’a pas été la seule à tenir la plume.
Si elles avaient voulu faire preuve d’audace, les deux rapporteures auraient proposé, comme nous leur avons suggéré :
• d’engager la France dans une politique de réduction des risques, qui part de l’idée que les comportements à risques ne peuvent pas être entièrement supprimés et qu’il convient donc d’aider les consommateurs à se tourner vers des produits de substitution moins dangereux ;
• de mettre davantage de cohérence dans la fiscalité comportementale en prenant en compte les risques présentés par les produits ;
• d’arrêter de hausser les taxes qui sont « régressives », c’est-à-dire qu’elles pèsent plus lourdement sur les personnes à faibles revenus. Elles agissent comme une fiscalité « redistributive » à l’envers, aggravant la situation des plus précaires et les privant parfois du seul plaisir qu’il leur reste ;
• de réformer l’assurance santé en l’ouvrant totalement à la concurrence, afin qu’apparaissent de nouveaux acteurs privilégiant une responsabilisation accrue des individus ;
• de remettre en question le principe de précaution, qui empêche une gestion active des risques, paralyse les initiatives et tue l’innovation.
Il ne reste maintenant plus qu’à espérer que ce rapport finisse comme la plupart des rapports… au fond d’un tiroir.