Suite à l’impressionnant coup de filet européen – mené la semaine dernière contre un réseau assurant la logistique de plusieurs usines clandestines de fabrication de cigarettes (voir 20 et 21 novembre) – nous recueillons l’analyse d’Hervé Natali, responsable des Relations Territoriales d’Imperial Brands-Seita (voir 14 et 23 avril).
LMDT : avez-vous été surpris par l’annonce de cette opération d’ampleur ?
•• Hervé Natali : nous dirons que c’est une demi-surprise … En fait, il est très étonnant de découvrir que tout cela part de France. Car en janvier 2023, sur renseignement des autorités polonaises, les Douanes ont démantelé une grosse usine clandestine de fabrication de cigarettes installée près de Rouen (voir 15 et 17 janvier 2023). Et l’on s’est aperçu alors que, pour cette dernière, plusieurs sources d’approvisionnement en matières premières avaient été prévues en Europe … Les enquêteurs ont alors lancé leurs investigations et déroulé la pelote.
LMDT : et sur quoi ont-ils débouché ?
•• Hervé Natali : … sur un réseau qui m’impressionne par la qualité de son organisation tentaculaire et par sa grande discrétion. La répartition des tâches y était particulièrement bien organisée en fonction d’un maillage précis. Par exemple, le tabac brut destiné aux usines de fabrication clandestine entrait dans l’Union européenne par la Belgique, l’Espagne et l’Italie pour être ensuite soigneusement réparti.
Sur toute la chaîne logistique chacun savait exactement ce qu’il avait à faire dans le cadre d’un système pyramidal, sous la responsabilité d’une entité basée vraisemblablement en Pologne avec des relais en Bulgarie, Italie et France. Et tout cela travaillant de façon très astucieuse : les autorités françaises ont découvert que du tabac illégal entrait dans le pays … caché entre les pages de magazines !
LMDT : qui est derrière tout cela ?
•• Hervé Natali : une authentique structure criminelle employant des gens dangereux, des ressortissants des Pays de l’Est, déjà recherchés pour d’autres affaires : une mafia.
Il semblerait que nous n’en soyons qu’au début et que l’on annonce d’autres saisies prochainement. Il suffit de rappeler que pour le seul territoire belge nous en sommes à la 12ème fermeture d’usine clandestine de fabrication de cigarettes depuis le début de l’année (voir 7 novembre).
LMDT : il y a donc fallu une coopération européenne pour démanteler ce réseau …
•• Hervé Natali : oui, cela a été indispensable, tout a été placé sous la coordination d’EUROPOL et d’EUROJUST, c’est à dire les instances de coopération policière et judiciaire européennes avec une triple collaboration entre la France, l’Italie et la Pologne. Les enquêteurs ont mené de remarquables investigations, de fil en aiguille, où le hasard et la chance ont joué leur rôle. Les remontées de renseignements partiels sur le terrain aussi.
Le démantèlement du réseau a culminé avec une opération conjointe dans 6 pays le 19 novembre. 15 suspects ont été arrêtés au total : 2 en Bulgarie, 1 en Allemagne, 4 en Grèce et 4 en Pologne … Et il s’est étendu en France, ce 20 novembre, du côté de Bourg-lès-Valence dans la Drôme où les Douanes ont démantelé une usine clandestine avec 4,7 millions de paquets de contrefaçon et 5 tonnes de tabac brut. Quatre ressortissants arméniens y ont été surpris. Rappelons que l’on retrouve beaucoup de personnes d’origine arménienne dans les activités de trafic de tabac sur la région lyonnaise.
LMDT : devant l’importance de telle organisation mafieuse, on se dit que la montée du marché parallèle de tabac va encore continuer …
•• Hervé Natali : il n’y a pas de fatalité. Si on baisse les bras il ne se passera rien. C’est pour cela que j’insiste sur l’importance du renseignement, du signalement. Tout compte. Un petit signalement peut être décisif dans une grande enquête. Cela vaut pour le buraliste comme pour le simple citoyen.
Et puis je crois à l’association – pour le traitement de ces signalements – de toutes les forces de maintien de l’ordre. Y compris les polices municipales. Le hasard veut que leur activité intéresse le ministre délégué chargé de la sécurité du quotidien, Nicolas Daragon, qui est aussi maire de Valence. Tout près de l’endroit où l’on a retrouvé une nouvelle usine clandestine de fabrication de cigarettes la semaine dernière … Je me permets d’insister : il ne peut y avoir de démantèlement sans signalement.