Nous reprenons un reportage du Parisien.fr, mis en ligne ce 18 avril.
Tout démarre dans un quartier de Compiègne (Oise). Un acheteur se gare toujours au même endroit, traverse l’aire de jeux, sonne à l’interphone, prend l’ascenseur, croise le voisin au regard suspicieux et toque à une porte. « Voilà tes trois cartouches », lui dit une femme, derrière la porte entrouverte.
•• Elle vend des cigarettes de contrebande depuis 5 ans. Elle a pris le relais d’une de ses connaissances. « J’ai deux marques » détaille-t-elle. « Marlboro, 55 euros la cartouche et News, 70 euros. Je peux fournir plutôt vite. Il faut juste me prévenir deux jours à l’avance. » Quand on lui demande par quel réseau les paquets arrivent, elle reste évasive. Elle voit surtout que « ça met du beurre dans les épinards ». « C’est un gars qui les prend chez un autre gars » indique-t-elle sobrement. « Mais elles viennent du Luxembourg. C’est de la bonne qualité ! »
Sur le chemin du retour, l’acheteur explique gagner correctement sa vie, mais que la hausse constante des prix des cigarettes l’a poussé à trouver un « plan », via les réseaux sociaux. « Comme je suis un habitué, j’ai ma cartouche à 50 euros » affirme-t-il. « j’aurais préféré continuer à aller chez mon buraliste, mais ce n’était plus possible. »
•• « C’est rentré dans les mœurs » déplore Hervé Natali, responsable des relations territoriales, en charge du trafic de tabac chez Seita. « On en trouve partout, dans des épiceries, les bars de nuit, chez le barbier… Des retraités, des mères de famille bouclent ainsi leurs fins de mois. Ça se fait à la fenêtre, dans la rue, dans les appartements. Les revendeurs sont monsieur et madame tout le monde. »
Et si ces derniers comme leurs acheteurs ont simplement l’impression d’avoir basculé dans le « système D » et de faire « de bonnes affaires », ce n’est pas l’avis de Michael Lachaux, Directeur régional des Douanes de Picardie. Pour ce dernier, ils sont « impliqués dans un trafic international et risquent gros : jusqu’à 3 ans de prison. »
Pas si loin des trafics plus lucratifs. « Comme pour le trafic de drogue, on est dans des quartiers avec une forte fragilité sociale » insiste le responsable des Douanes, qui souligne que les pénalités financières peuvent aussi être importantes. « Dans l’Oise, on a déjà dressé des pénalités de 100 000 euros et plus. Certains petits revendeurs ont tout perdu et sont redevables à vie à l’État. »
Le département, en raison de sa proximité géographique avec l’Île-de-France et des pays voisins comme le Luxembourg, mais aussi grâce à son réseau de transports (aéroport, autoroute A1…) « est un boulevard pour se procurer du tabac sur le marché parallèle », signale encore Hervé Natali, de la Seita.
•• Le 29 mars, Thomas Cazenave, le ministre des Comptes publics s’est d’ailleurs rendu dans l’Oise, après plusieurs braquages de bars-tabac, pour annoncer l’intensification de la lutte contre ce trafic (voir 6 avril et 31 mars).
Seulement, les buralistes, obligés de se diversifier, se sentent abandonnés par leurs anciens clients. « Certains passent pour qu’on les dépanne entre deux arrivages illégaux » soupire Serdar Kaya, président de la fédération départementale des buralistes de l’Oise (et administrateur de la Confédération), « les professionnels n’arrivent plus à se rémunérer. En haussant sans cesse les prix, l’État a été négligent et a poussé les consommateurs à devenir acteurs des trafics. »