En 2021, les saisies douanières ont franchi le seuil symbolique des 400 tonnes, soit un bond de 41,3 % en un an (voir 15 février 2022). Les gangs criminels n’ont jamais été aussi actifs, annonce un article du Figaro de ce jour. Nous le reprenons ci-dessous.
Dopés par la flambée ininterrompue des prix du paquet, jamais les trafiquants de cigarettes n’ont autant intensifié les filières clandestines. Sur le terrain, le fléau des « blondes » issues de la contrebande ou de la contrefaçon a pris une ampleur telle qu’elle menace l’équilibre du marché légal. À la pointe de la traque, les douaniers multiplient les affaires retentissantes.
•• Selon nos informations,la quinzaine d’agents spécialisés du groupe de recherche et d’intervention contre les trafics de tabac (Gritt) de Lyon a saisi, le 3 mars dernier, dans un entrepôt de la zone industrielle de Saint-Priest, pas moins de 19 tonnes de « clopes » estampillées Marlboro, Winston ou encore L&M (voir 11 mars 2022).
À l’intérieur de ce lieu de « stockage » clandestin, qui a manifestement déjà été utilisé par les malfrats, les agents ont découvert la marchandise, d’une valeur de 10 millions d’euros, remisée dans deux semi-remorques, deux camionnettes ainsi que sur des palettes. La filière, susceptible d’être issue des pays de l’Est, était animée par un gang criminel plutôt venimeux qui, pour en venir à bout, a nécessité l’appui des policiers du Raid. Trois voyous ont été interpellés en possession de 160.000 euros et d’un fusil à canon scié.
•• Ce coup de filet s’inscrit dans une étourdissante série. Dans la nuit du 14 février dernier, les agents d’Amiens interceptent quant à eux, sur l’autoroute A1, un poids lourd censé transporter 19 palettes de papier entre les Pays-Bas et la France. En ouvrant le semi-remorque, ils confisquent 380 000 paquets de cigarettes, pour un poids de 7,6 tonnes. Le lendemain, à la barrière du péage du Boulou sur l’A9, la brigade de Perpignan est intriguée à son tour par un camion frigorifique venant d’Espagne: son système de refroidissement ne fonctionne pas.
Sous des palettes d’oranges pourries, ils trouvent quelque 360.000 paquets, soit 7,2 tonnes de plus au compteur. « 15 tonnes en vingt-quatre heures! », se félicite Olivier Dussopt, le ministre de tutelle en charge des Comptes publics qui rappelle que « ces deux saisies d’ampleur représentent une perte de plus de 7 millions d’euros pour les organisations criminelles » (voir 18 février 2022).
Bercy boude d’autant moins son plaisir qu’une saisie de 28,8 tonnes avait été réalisée une dizaine de jours auparavant, au beau milieu de la nuit, dans la remorque d’un poids lourd circulant dans la Drôme. En bout de chaîne, le paquet se vend à moitié prix au marché noir. Selon un dernier bilan porté à la connaissance du Figaro, les douaniers ont fait exploser le nombre de leurs saisies en France, plaque tournante des trafics en Europe, avec 18 284 constatations réalisées en 2021. Soit plus de 50 par jour !
•• Ce résultat dépasse largement celui de 2020 (15 441 constatations, soit une hausse de 18,4 %), mais aussi celui d’avant la pandémie en 2019. Les douaniers imputent cette explosion à ce qu’ils appellent une « polycriminalité », au sein de laquelle les gangs conjuguent contrebande de tabac et vente de drogue.
« Il s’agit pour les réseaux impliqués de diversifier leurs sources de revenus, en minimisant au maximum le risque pénal encouru. Or le trafic de tabac, même si les peines prononcées sont de plus en plus lourdes, reste globalement moins sévèrement sanctionné que celui des stupéfiants », confie au Figaro Corinne Cléostrate, sous-directrice de la douane chargée de la lutte contre la fraude.
« Plusieurs événements géopolitiques ont également contribué au développement de ces trafics, renchérit-elle. Les différents conflits (Syrie, Afghanistan, etc.) engendrent l’exode de nombreux réfugiés. En situation de grande précarité, ces derniers font régulièrement l’objet d’une exploitation de la part de réseaux criminels pour servir de passeurs de produits du tabac. »
•• Sur le front des filières transnationales tenues par des caïds qui contrôlent tout, de la production au stockage en passant par l’acheminement et la distribution via une nuée de vendeurs à la sauvette ou de plateformes en ligne, brigades locales et services spécialisés ont mis au jour une logistique jusqu’ici insoupçonnée. En décembre dernier, pour la première fois de leur histoire, ils ont découvert un atelier clandestin de fabrication de cigarettes tournant à plein régime loin des regards, à Poincy, commune de 700 âmes plantée en lisière de Meaux (Seine-et-Marne / voir 14 et 16 décembre 2021).
Là, dans un local anonyme, les fouilles ont débouché sur la découverte de sacs de tabac brut, de machines permettant la confection de cigarettes (soufflerie, brassage, broyage, empaquetage sous « blister », etc.), de cartons contenant des filtres à cigarettes, de bobines de papier ainsi que des bidons de colle. « La crise sanitaire a fortement impacté les réseaux de trafiquants » souffle Corinne Cléostrate. « La fermeture des frontières et l’interruption de certaines lignes aériennes et maritimes ont engendré une restructuration de l’offre, qui s’est rapprochée du territoire national via l’implantation d’usines de fabrication clandestines. » Selon nos informations, pas moins de 73 unités de production illégale ont été démantelées en Europe de l’Ouest en 2021, sachant que le reste du tabac trafiqué vient des pays de l’Est et de l’Asie du Sud-Est.
•• Outre les gros réseaux sur lesquels les services demeurent en général discrets en raison des investigations toujours en cours, les trafics dits de « fourmis » ou « transfrontaliers », venant de pays où la fiscalité est plus faible qu’en France, sont plus que jamais dans le collimateur. L’acheminement du tabac de contrebande originaire de la principauté d’Andorre est telle qu’elle peut même se pratiquer à dos d’hommes vers la région Occitanie et l’agglomération toulousaine.
« Ces achats transfrontaliers servent aussi bien à alimenter la consommation personnelle de certains particuliers qu’à nourrir des trafics de diverses importances, dans une quête de rentabilité et des méthodes ayant peu à envier aux trafiquants de stupéfiants (organisation en réseau, circulation en convois ou transports de type go-fast, utilisations de plusieurs téléphones portables, etc.) » précise une note des douanes en date du 18 février dernier. « Leur part augmente d’autant plus que les chaînes d’approvisionnement de certains trafics locaux, en provenance de pays tiers et notamment du Maghreb, ont été perturbées par la pandémie et que les trafiquants se sont adaptés en diversifiant leurs sources d’approvisionnement. »
•• Soucieux de hisser la riposte à la hauteur, les agents de Bercy ont appliqué à la lettre un plan ministériel de lutte dès 2020. Pour renforcer le renseignement, une application « Stop Trafic Tabac » a été mise à disposition des débitants qui peuvent ainsi dénoncer les trafics détectés sur le terrain ou sur internet. « Plus de 1800 signalements ont été transmis l’année dernière, contre à peine une centaine il y a deux ans », se félicite Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes. C’est sur la base d’un de ces précieux « tuyaux » que les douaniers de Boulogne ont saisi 48 kilos de tabac à rouler, près de 6000 cigarettes, de l’alcool, des contrefaçons ainsi que des armes au domicile de deux petits trafiquants. Par ailleurs, le ciblage des contrôles s’est resserré à l’échelle européenne, avec notamment une coopération opérationnelle accrue avec la Belgique, la Pologne et l’Espagne, mais aussi avec l’emploi de scanners sur les ports et les autoroutes.
Plus que jamais, la vente de tabac manufacturé demeure une manne pour l’État. L’année dernière, les recettes liées au droit de consommation ont rapporté plus de 15 milliards d’euros. Un pactole intégralement reversé au budget de la Sécurité sociale, plombé par les trafics, qui représentent une perte fiscale sèche estimée à 3 milliards.