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20 Mar 2023 | Profession
 

Des positions claires sur la stratégie de son entreprise … des remarques pertinentes sur les choix gouvernementaux : Romain Laroche, directeur général de Seita (voir 3 et 8 novembre) revient pour Capital sur les enjeux que traverse aujourd’hui la filière tabac.

Nous en reproduisons l’intégralité.

•• Capital : Quels sont les principaux enjeux auxquels le groupe Seita a dû faire face ces dernières années ?

Romain Laroche : Depuis 21 ans que je travaille dans le groupe, les challenges se sont multipliés. On observe une baisse constante des ventes dans le réseau des buralistes tandis que celles issues de la contrebande et de la contrefaçon ont explosé, passant de 24,57 % à 35,46 % entre 2017 et 2021. De manière générale, le nombre de fumeurs diminue chaque année. 

Par ailleurs, nous sommes confrontés depuis des années à des réglementations toujours plus contraignantes : le paquet neutre en 2016 en France, l’interdiction de faire de la publicité, la hausse quasi constante des taxes … Notre industrie se transforme à toute vitesse pour faire face à tous ces bouleversements.

Chez Seita, notre vision du marché est réaliste : nous savons que nous devons nous préparer à ce que les volumes de vente continuent de chuter, et adapter notre offre à ce que souhaite le consommateur. 

Il a fallu nous doter de nouvelles compétences, en R&D, dans le digital, en marketing, pour développer des produits de nouvelle génération, moins nocifs, comme la cigarette électronique (ou « vape ») ou le tabac à chauffer. C’est cette capacité d’innovation que nous avons chez Seita, qui nous a permis de lancer la deuxième génération de cigarettes électroniques.

•• Capital : Vous misez donc sur la diversification, en développant des produits comme la vape ?

Romain Laroche : Aujourd’hui, la cigarette électronique représente 10% de notre chiffre d’affaires. C’est encore peu mais le marché de la vape est récent – depuis les années 2010 en France – et il montre un potentiel exceptionnel de progression.

Donc oui, nous misons dessus évidemment depuis dix ans. Nous avons été parmi les premiers à amorcer dès 2014 une transformation de fond avec le lancement de la cigarette électronique en système fermé, puis notre produit phare de vape, myblu, en 2018. Notre objectif est de démocratiser la vape et de la rendre accessible à tous les fumeurs adultes qui souhaitent arrêter le tabac combustible. 

•• Capital : En quoi la vape répond à la demande des consommateurs ? Quelle différence avec la cigarette traditionnelle ?

Romain Laroche : Le baromètre de Santé publique France montre que 90% des utilisateurs de vape sont d’anciens fumeurs de cigarettes traditionnelles. Les modes de consommation évoluent, les fumeurs cherchent moins de nocivité, tout en gardant le plaisir de la fumée.

Une étude de Public Health England explique que la vape est environ 95 % moins nocive que la cigarette traditionnelle. Ce qui est étonnant, c’est que les gens n’ont pas forcément une bonne image de la vape. La moitié des Français la considère comme aussi voire plus dangereuse que le tabac combustible, ce qui est faux.

Derrière, il y a un enjeu d’information. Si l’État voulait vraiment agir pour la santé publique, il adopterait une meilleure communication sur les risques réels de la vape, qui est deux fois plus efficace que n’importe quel autre substitut nicotinique pour arrêter le tabac combustible. Elle a fait ses preuves là-dessus, c’est la Haute Autorité de Santé qui le dit.

Au Royaume-Uni par exemple, où les pouvoirs publics ont fait le pari de communiquer sur les différences de risques entre fumer et vapoter, le tabagisme a baissé d’un quart entre 2019 et 2021.

•• Capital : Alors que les jeunes fument de moins en moins, de par les différents arômes – fruités ou mentholés – que vous proposez avec la vape, l’objectif est quand même de les attirer …

Romain Laroche : Notre marketing est responsable, nous ne sommes pas des industriels opportunistes cherchant une clientèle à tout prix. D’ailleurs, nos produits sont vendus en exclusivité chez les buralistes, qui appliquent l’interdiction de la vente aux mineurs.

L’objectif des arômes est surtout de faciliter la transition de fumeurs vers la vape. Ils aident au sevrage tabagique, c’est ce que disent les 700 000 fumeurs qui attribuent, dans une étude de Santé publique France, le succès de l’arrêt de produits combustibles grâce au vapotage.

•• Capital : Les taxes ont encore augmenté au 1er mars, provoquant une augmentation du prix du paquet. Pensez-vous que la fiscalité est un frein au tabagisme ? Comment les industriels s’adaptent ?

Romain Laroche : La hausse des prix est majoritairement due aux hausses fiscales, car nous ne pouvons pas les absorber dans nos marges. Nous devons, nous aussi en tant qu’industriels, faire face à la hausse des prix des matières premières, des salaires…

Chaque fabricant fixe ses prix. Je rappelle que dans le prix d’un paquet, les taxes représentent 84 %. La part du buraliste est de 10,4 % (brut  et celle du fabricant et du distributeur, de 5,6 %. La position de l’État n’est pas claire. En augmentant les taxes, il affiche sa volonté de réduire le tabagisme.

Mais on voit bien que ça ne fonctionne pas tant que notre fiscalité n’est pas harmonisée avec les pays limitrophes. La principale conséquence est l’augmentation de la part des achats transfrontaliers, mais aussi de la contrebande et de la contrefaçon, qui ont explosé ces dernières années créant un risque sanitaire majeur. 

Si l’État voulait réellement lutter contre le tabagisme, il s’y prendrait autrement. Il faut savoir que les recettes fiscales liées aux produits du tabac augmentent depuis plusieurs années. Elles sont passées de 13,8 milliards d’euros en 2017 à 17,8 milliards en 2022. 

En réalité, plutôt que la hausse des prix, le frein le plus efficace au tabagisme, je le répète, c’est le passage à la vape ou à d’autres produits moins nocifs que la cigarette combustible. Et c’est ce sur quoi nous travaillons. Mais notre transformation est loin d’être terminée.