De la vente à la sauvette en passant par le trafic transfrontalier et surtout l’achat sur les réseaux sociaux, le trafic de cigarettes de contrebande explose dans l’Ouest de la France. Dans certaines villes comme Angers, Le Mans ou Nantes, un paquet fumé sur dix serait issu de la contrefaçon. Suite de l’enquête de Ouest France (voir 23 février).
Cet hôtel à Nantes (Loire-Atlantique) est vanté « pour son environnement familial et sa proximité avec les meilleurs restaurants du centre-ville ». Et pourtant, durant de nombreux mois, c’est là que la mafia de l’Europe de l’Est avait installé sa « banque centrale » (lieu où elle collectait des fonds) provenant d’un vaste trafic international de cigarettes.
•• Nous sommes en janvier 2021. Elles ne le savent pas encore mais une vingtaine de personnes, suspectées de participer à ce réseau international, sont mises sur écoute et discrètement suivies par les enquêteurs de la Section de Recherche de la Gendarmerie de Loire-Atlantique.
En 2020 et en pleine crise de pandémie du Covid, ce trafic « de grande ampleur » a porté sur 77 tonnes, soit environ quatre millions de paquets. Les cigarettes étaient acheminées en camions depuis la Slovénie avant d’être stockées en France.
Dans l’Ouest, le parking d’une enseigne de restauration rapide à Carquefou (Loire-Atlantique) ou encore des hôtels à La Chapelle-sur-Erdre, sans oublier des boxes sécurisés de la banlieue de Nantes, servaient de bases pour « inonder » le marché (voir 28 janvier et 7 février 2022).
•• Cette organisation avait investi des moyens importants dans la logistique : importation de tabac brut et de filtres à cigarettes jusqu’aux sites de production en Slovénie, les emballages, les machines-outils, les poids lourds avec chauffeurs dédiés. Une première partie du trafic avait finalement été démantelée en avril 2021, avec l’interpellation de revendeurs grossistes, mis en examen devant la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Bordeaux (voir 13 avril 2021).
En janvier 2024, des peines de prison – allant de deux ans avec sursis à dix ans ferme – ont été prononcées à l’encontre des prévenus jugés devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Philip Morris France a obtenu deux millions d’euros de dommages et intérêts, et l’amende douanière s’est élevée à 43 millions d’euros pour l’ensemble des protagonistes (voir 6 janvier 2024).
•• Il y a quatre ans, les structures criminelles n’étaient pas aussi « bien » organisées. La preuve en avril 2017.
Un Arménien de 44 ans, est interpellé au péage de Corzé, près d’Angers (Maine-et-Loire), par les Douanes. Dans sa voiture, sont découvertes 115 cartouches de cigarettes authentiques en provenance d’Ukraine et achetées à Paris. « Un petit bricoleur », glisse ironiquement un proche de l’enquête. Son dossier n’a été jugé qu’en décembre 2022 avant un nouveau renvoi devant la juridiction angevine en février 2024, à nouveau renvoyé.
Après son interpellation, il a été relâché et … a multiplié par quatre ou cinq le volume de transports. Selon une source policière, « il a été attrapé à bord d’un van avec 3 000 cartouches de cigarettes contrefaites. Il a changé son business. Il est passé de la contrebande à la contrefaçon ».
Des faits divers comme ça, il y en a tous les mois, ou presque, dans l’Ouest. En janvier 2024, à nouveau au péage de Corzé, 35 000 paquets de cigarettes de contrebande ont été saisis dans un camion abandonné. Le chauffeur a pris la fuite à pied au moment du contrôle. Le 12 février, plus de 7 tonnes de cigarettes Marlboro contrefaites ont été saisies dans un poids lourd immatriculé en Roumanie et arrêté sur sur la bande d’arrêt d’urgence de l’A10, dans le Loir-et-Cher (voir aussi 24 février).
•• Cette cartographie du trafic international montre que la revente illégale de cigarettes contrefaites se restructure en fonction de la demande. « … Le consommateur a découvert les dealers de cigarettes dans la rue, les ventes sur les réseaux sociaux », détaille Daniel Bruquel, chef du service prévention du commerce illicite chez Philip Morris France.
L’inflation est aussi passée par là. « Un paquet a pris + 65 % en cinq ans. On est très loin de l’augmentation de l’essence ou des produits alimentaires. Et sur ces cinq dernières années, on est passé du petit trafiquant, qui vendait en petites quantités à la face industrielle, relate Daniel Bruquel. On a commencé à démanteler des usines de contrefaçon en France … ».