Double page centrale dans l’édition datée du 16 octobre sur le sujet de la contrebande de cigarettes de contrefaçon. C’est inédit. Et cela montre à quel point le phénomène prend sa place dans les médias.
L’axe : depuis quelques mois, des contrefaçons fabriquées notamment en Belgique et en Pologne concurrencent en Europe les produits de contrebande. Extraits …
L’article démarre sur l’assaut donné, le 4 août, dans un hangar sans fenêtres de la zone industrielle d’Aartselaar (Belgique) / voir 5 et 6 août. « Une fois les machines mises à l’arrêt, la mission des douanes est loin d’être accomplie. C’est, au contraire, le lancement d’un tortueux jeu de piste. Cette enquête tentaculaire, encore en cours aujourd’hui, tente de comprendre les rouages de ce marché parallèle de cigarettes à bas coût en perpétuelle évolution. Si la Belgique apparaît désormais comme un « hub » de choix, la France en constitue le premier marché » commente Le Monde (voir 28 juin).
•• (…) Ces derniers mois, des flux illicites de cigarettes de contrefaçon produites en Europe sont venus concurrencer les filières traditionnelles de contrebande (depuis l’Algérie et l’Espagne, ou encore celles en provenance de Chine ou de territoires frontaliers à la fiscalité avantageuse) offrant un nouveau visage au trafic.
« L’évolution est gigantesque : chaque saisie est plus importante que la précédente » s’exclame Kristian Vanderwaeren, directeur général des douanes belges, « depuis deux ans, la contrefaçon de tabac et de cigarettes est devenue un phénomène massif en Europe. » La Belgique et la Pologne apparaissent comme de nouveaux centres névralgiques. Mais aussi l’Espagne (…) Quelques clics sur des sites d’e-commerce chinois suffisent pour se procurer, à un prix d’environ 300 000 euros, des machines flambant neuves susceptibles d’entrer légalement en Europe, sans autorisation particulière.
•• « Ce développement récent est à la conjonction de trois facteurs : la hausse des taxes, avec un paquet dont le prix dépasse en France les 10 euros ; l’effet du confinement, qui a notamment limité les approvisionnements directs à l’étranger ; et l’essor des réseaux sociaux – Facebook, Snapchat… – pour la vente à domicile », analyse Daniel Bruquel, chargé de la prévention du commerce illicite chez PMI (voir 19 juillet).
(…) Des groupes criminels ont mis la main sur ce trafic aux revenus juteux et aux risques judiciaires modérés. « En raison des moindres risques financiers et pénaux encourus par rapport aux peines applicables en cas de trafics de stupéfiants, les réseaux de trafiquants de drogue ont progressivement développé des activités de contrebande de tabac », notent ainsi les députés français Éric Woerth (Les Républicains, Oise) et Zivka Park (La République en marche, Val-d’Oise) auteurs du rapport d’information sur la consommation de tabac (voir 29 septembre).
•• Les usines et centres logistiques « se rapprochent de plus en plus de la France », constate de son côté Corinne Cléostrate, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude à la Direction générale des Douanes. L’Hexagone est devenu le théâtre d’un incessant ballet de camionnettes – et, récemment, de semi-remorques – chargées de cartouches. « Ces modes opératoires ressemblent à ceux utilisés par le trafic de stupéfiants », souligne-t-elle.
On note même parfois une coexistence d’activités – ce que l’on nomme la « polycriminalité ». Certains réseaux bien implantés fonctionnent ainsi avec un système de « nourrices » calqué sur celui du trafic de drogue. Ils peuvent générer jusqu’à 40 000 euros par semaine rien qu’avec les cigarettes.
« Entre la production de tabac brut et la vente finale, on dénombre six ou sept étapes distinctes, toutes parfaitement cloisonnées », décrit un expert de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). « Ces groupes criminels fonctionnent comme des firmes multinationales, poursuit un autre enquêteur européen. Ils ont des manageurs régionaux et dispatchent leurs activités dans l’Europe entière. »
Depuis quelques années, les affaires se multiplient sur le territoire français, mettant au jour une partie des réseaux à l’œuvre, où se côtoient des opportunistes mêlés à divers petits trafics et des équipes structurées au professionnalisme plus abouti (voir notamment 14 octobre, 13 avril et 14 mai).
•• (…) En bout de chaîne, les cigarettes peuvent être écoulées directement au client final par des petits marchés clandestins, où, derrière le rideau de fer d’un box, s’échangent tous types de produits, des vêtements au tabac, comme à Lyon Place Gabriel Péri (voir 12 août et 9 juin) … La vingtaine environ, parfois mineurs, en situation irrégulière, originaires du Maghreb. Exploités par des réseaux de trafiquants, ces jeunes migrants se retrouvent désormais au cœur d’affrontements « de territoire » sur certains points de vente. Est-ce un effet de la croissance du trafic ?
(…) Loin de la rue et des conflits, la vente en ligne à travers le réseau social Snapchat séduit de plus en plus de revendeurs. Déjà largement utilisé pour la vente de cannabis ou de cocaïne, il voit fleurir des comptes aux pseudonymes sans équivoque : chopetaclope, cigarette69, livraisongaro… Des autoentrepreneurs, flairant l’opportunité, s’improvisent semi-grossistes ou simples revendeurs et proposent des livraisons sur la France entière grâce à l’application.
Depuis leurs comptes, ils mettent en ligne des « stories » qui vantent leurs services, puis, le plus souvent, renvoient à une chaîne de la messagerie chiffrée Telegram pour passer commande. Il n’est pas rare non plus qu’ils publient des offres d’emploi, comme celle-ci, mise en ligne récemment sur un compte de la région lyonnaise : « recrutement//bip moi @marlborodutyfree envoyer votre cv ! Les entretiens vont commencer on cherche de vrais soldat qui veulent intégré une famille vivre à Lyon et dispo h24/7 bonne paye et pouvant gravire les échelions. »