Nous reprenons un important article du Figaro publié et mis en ligne ce jour.
« Plus on en cherche, plus on en trouve. » Selon les douaniers, ce qui est vrai pour la drogue se vérifie aussi en France pour le tabac de contrebande.
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des Comptes publics, ont chaudement félicité en ce début de semaine les « gabelous » de Laon (Aisne) et de Calais pour deux saisies de respectivement 11 et 2 tonnes de cigarettes le week-end dernier. Valeur estimée : 6,83 millions d’euros. Le camion le plus chargé, immatriculé en Roumanie, en provenance de Pologne et dont le chauffeur était moldave, contenait plus d’un demi-million de paquets de Marlboro contrefaites (voir 24 octobre 2023 et ci-dessous).
•• Ces dernières années, le trafic de tabac prend des proportions gigantesques dans l’Hexagone. Pas moins de 649 tonnes de cigarettes ont été saisies en 2022 (+ 61 % par rapport à 2021, + 125 % en deux ans / voir 23 février). Les Hauts-de-France représentent, à eux seuls, environ 200 tonnes. Plus grosse implantation douanière du pays (1 600 agents), proche de la Grande-Bretagne, de la Belgique, du Luxembourg, cette région est exposée à tous les trafics.
« Beaucoup de cargaisons clandestines sont à destination de l’Irlande et du Royaume-Uni, mais la France est également une terre d’écoulement des produits, tant la demande est forte », constate Jean-Baptiste Kimmel, directeur de la Douane à Dunkerque. Selon lui, « les réseaux se structurent » et « le crime organisé » a jeté son dévolu sur cette activité.
L’année 2023 laisse présager de nouveaux records. Selon Michaël Lachaux, directeur régional de la Douane en Picardie (Aisne, Oise, Somme / voir 26 janvier 2023), des 4 tonnes saisies en 2021, les quantités arrachées au trafic sont passées, dans son secteur, à 14 tonnes l’année suivante. Et « elles viennent, selon lui, de dépasser les 35 tonnes en octobre, alors que l’année 2023 n’est pas terminée ». Sa région, poursuit-il, est souvent « le reflet des évolutions au plan national ».
•• La cause profonde est connue : l’augmentation de la fiscalité sur le tabac, pour dissuader les usages, a rendu le paquet de cigarettes si cher (11 à 12 euros) que les produits de contrebande ont trouvé en France un marché tout désigné. L’inflation générale n’a fait qu’accentuer un mouvement enclenché depuis six ans environ. Au marché noir, un paquet coûte 1 à 2 euros à fabriquer et se revend entre 5 et 7 euros.
La France est environnée de pays fournisseurs, où pullulent les usines clandestines : Pologne et Belgique, rejointes actuellement par l’Italie et l’Espagne. Même en France, ces ateliers mécanisés émergent. Six ont été démantelées depuis 2021.
Parallèlement, le trafic de cigarettes authentiques explose. Les réseaux criminels jouent sur le différentiel de fiscalité entre la France et certains pays européens, où la marchandise s’achète à moitié prix. La Moldavie, notamment, casserait les prix, à 2 euros le paquet. Au-delà des conséquences sanitaires, c’est un manque à gagner pour les caisses de l’État, puisque 98 % du prix du paquet est composé de taxes. L’addiction au tabac ramène ainsi une quinzaine de milliards d’euros par an à Bercy.
« En même temps, les vols de tabac se multiplient », déplore-t-on à la Direction générale des Douanes et Droits indirects (DGDDI). Les émeutes de l’été ont été émaillées d’innombrables effractions en bande chez des buralistes. Ce dimanche 22 octobre, un important casse a eu lieu à Eybens, près de Grenoble, dans un entrepôt Logista, au moyen d’un camion-benne sur lequel un tronc d’arbre avait été fixé pour servir de bélier (voir 24 octobre 2023).
La professionnalisation des équipes va de pair avec la criminalisation du phénomène. Les villes moyennes et même les campagnes sont touchées. « Dans les cités, les points de deal panachent leur offre en proposant désormais des cigarettes », constate un officier d’une brigade anticriminalité.
•• « On met une pression énorme sur les contrôles », assure pourtant son collègue de Dunkerque. Bercy a lancé un plan d’action 2023-2025 pour mieux structurer la riposte (voir 6 décembre 2022).
Au programme : des chiens dressés pour renifler le tabac et 45 millions d’euros débloqués pour fournir de nouveaux scanners de détection des chargements et stockages illicites. Les cyber-enquêtes vont aussi s’intensifier. Et les contrôles viseront davantage les précurseurs des produits du tabac, pour agir le plus en amont contre la fabrication illégale. Des groupes de lutte antitrafic de tabac se déploient également pour mener des opérations coup de poing et des enquêtes au long cours.
Tandis que la loi s’est durcie, avec l’adoption d’un texte daté du 18 juillet dernier, qui alourdit notamment les sanctions contre les trafiquants, celles-ci passant d’un à trois ans d’emprisonnement. Le texte instaure par ailleurs une peine complémentaire jusqu’à dix ans pour tout étranger commettant ce délit (voir 20 juillet 2023).
Enfin, les fermetures administratives de commerces vendant du tabac de manière illicite sont portées de trois à six mois. Et le non-respect de l’arrêté préfectoral sera désormais puni de deux mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.
•• « Derrière ces trafics d’apparence anodine, il y a de vrais enjeux de sécurité », assure le patron de la Douane de Dunkerque. Un officier de la police aux frontières l’affirme, de son côté : « Les réseaux de traite des êtres humains ont déjà commencé à associer, dans leur sinistre commerce, migrants et ballots de cigarettes qui empruntent parfois les mêmes bateaux, lors d’une même traversée ». Un phénomène constaté dès 2017 entre la Tunisie et l’Italie notamment.
De la Camorra aux gangs de cités, le spectre des mafias s’agite dangereusement derrière cette économie parallèle en plein boom.