Dans un interview à Sud-Ouest, Philippe Coy commente la décision de supprimer la limite d’une cartouche ramenée de l’étranger (voir 29 mars) et appelle à un moratoire sur la fiscalité des cigarettes.
•• La fin de la limitation à une cartouche importée est une très mauvaise nouvelle pour les buralistes français…
Philippe Coy : C’est toujours une mauvaise nouvelle quand on parle du marché parallèle. L’Europe a contraint la France à lever sa réglementation sur la limitation du transport du tabac à une cartouche que nous avions obtenue en 2020. Mais ma première crainte, c’était que l’on retire aux douaniers des moyens de contrôler. De ce point de vue-là, j’ai la satisfaction de voir que la France s’est dotée de nouveaux moyens pour maintenir la pression et les contrôles. Il est important de rappeler – à contrario de ce que je peux lire ici ou là – que ce n’est pas « open bar » !
•• Malgré tout, il n’y a plus de référence à la quantité …
Philippe Coy : Oui, un État membre ne peut pas limiter en dessous de quatre cartouches, c’est pour ça que la France a été mise en défaut. Le décret aujourd’hui ne fait pas référence à un seuil de quantité, puisque c’est contraire au droit européen, mais à 12 faisceaux de concordance, les douaniers peuvent continuer à contrôler, verbaliser et saisir des marchandises destinées au commerce.
•• La difficulté, c’est de le prouver…
Philippe Coy : Tout à fait, c’est pour cela qu’il y a plusieurs indicateurs. Si le produit est dissimulé dans la voiture, par exemple, on peut imaginer que c’est fait à des fins commerciales. S’il y a plusieurs marques, idem … un consommateur fume généralement la même marque.
L’autre solution, c’est que l’Europe révise ce Droit communautaire et ramène le seuil de franchise européen à une cartouche. Cela fait plus d’un an que j’ai ouvert ce chantier. Trois révisions de Directives sur le tabac vont être étudiées par le nouveau Parlement européen, notamment le texte de 2011 qui encadre les droits d’assise, c’est-à-dire les méthodes de perception, de fiscalité et de transport du tabac.
J’espère trouver un consensus auprès de mes homologues européens pour qu’on n’autorise qu’une seule cartouche pouvant passer les frontières à l’horizon de 2025. Mais aujourd’hui, la problématique est celle des écarts de prix. La situation que nous vivons a été provoquée par une politique de fiscalité plus forte sur le marché français que partout ailleurs en Europe. C’est bien pour ça que je demande depuis plusieurs mois un moratoire de la fiscalité tabac.
•• Ce relâchement sur le nombre de cartouches va avoir des conséquences très dures pour les buralistes des départements frontaliers comme les Pyrénées-Atlantiques…
Philippe Coy : Oui, et même au-delà. Le phénomène qu’on a pu dénoncer depuis maintenant vingt ans, ce sont ces véhicules qui partent de Gironde ou de Charente-Maritime pour aller en Espagne ou en Andorre, Principauté qui n’est pas régie par les règles communautaires et dont la limitation à la frontière correspond à une cartouche et demie par personne.
Bien évidemment, cette annonce laisse un goût amer et une inquiétude, mais on est dans l’émotion. Je ne pense pas que cette annonce poussera les consommateurs à aller encore plus à l’étranger. Mais ce qui est certain, c’est que ça envoie un mauvais signal.
•• Dans notre région, on connaît bien l’écart de prix entre la France et l’Espagne…
Philippe Coy : Oui, il est du simple au double. Ceci étant dit, il y a aujourd’hui des mouvements encourageants sur les prix dans d’autres pays européens. La Belgique va augmenter ses tarifs de 2 euros à l’horizon de mai 2024. L’Espagne a présenté un plan de lutte contre le tabac qui prévoit notamment la hausse de la fiscalité et les paquets neutres. Mais, pour réduire les écarts, il faut que la France arrête d’être le leader en termes de prix. Je l’ai dit à plusieurs reprises à notre ministre délégué, Thomas Cazenave.
•• Quelle est la proportion de cigarettes achetées à l’étranger ?
Philippe Coy : C’est difficile de le déterminer. Ce qu’on sait, c’est qu’une cigarette sur trois consommée en France n’est pas achetée dans le réseau officiel des buralistes. Depuis trois ou quatre ans, on observe aussi des produits issus de la contrefaçon, c’est-à-dire des copies fabriquées ici. Cinq usines clandestines ont été démantelées en France.
•• Il y a malgré tout une question de santé publique, qui ne plaide pas pour un moratoire sur le prix du tabac…
Philippe Coy : Plusieurs études viennent de montrer les effets contre-productifs de la pression fiscale. Celle-ci n’a pas permis d’apporter les objectifs de santé escomptés. Santé publique France démontre dans un audit que la prévalence tabagique n’a pratiquement pas diminué ces cinq dernières années alors que nous avons connu des hausses significatives du prix du tabac en France. Cela signifie que l’outil du prix n’est plus adapté pour faire baisser la consommation du tabac.
•• Quelle est la priorité aujourd’hui ?
Philippe Coy : La réglementation et les contrôles. L’opération Colbert II contre les trafics de tabac menée la semaine dernière a permis de saisir 27 tonnes de tabac de contrebande. La même opération l’an dernier avait abouti à 9 tonnes de saisie. L’augmentation est éloquente et inquiétante. La perte totale de recettes fiscales est de l’ordre de 3 à 5 milliards d’euros.
•• Les bureaux de tabac se sont diversifiés depuis plusieurs années, mais ça ne va pas peut-être pas suffire…
Philippe Coy : Oui, nous avons lancé en 2018 un grand plan de Transformation qui adapte le réseau des buralistes. Ces derniers continuent de distribuer du tabac mais répondent aussi à d’autres demandes, proposant des services publics ou marchands. Cette Transformation fonctionne, mais elle est plombée par les écarts du marché du tabac qui détournent les consommateurs français du réseau de buralistes.