Une fenêtre sur l’actualité quotidienne de tous les événements liés directement ou indirectement au tabac
30 Avr 2025 | Trafic
 

Dernier volet de la grande enquête du Dauphiné Libéré (voir 28 et 29 avril) avec un interview de Grégory Guiraud, Chef du Pôle « Pilotage, Performance et Contrôle interne » à la Direction interrégionale des Douanes dAura.

• Le Dauphiné Libéré : Combien « pèse » le trafic de tabac en Aura ?

•• Grégory Guiraud : En 2024, plus de 41,5 tonnes de tabac de contrebande ont été saisies dans notre région par les services des Douanes. Pour une contre-valeur théorique estimée à plus de 13 millions deuros. Un net rebond par rapport à lannée 2023 où  « seulement » 24 tonnes avaient été saisies mais une continuité, plutôt, si lon se réfère à 2022 où lon avait dépassé les 47 tonnes. Mais jinsiste sur le fait quil sagit de cigarettes de contrebande ou de contrefaçon mais aussi de tabac en vrac et de tabac à narguilé. 

• Le Dauphiné Libéré : Quels sont les principaux points d’entrée ?

•• Grégory Guiraud : Si on parle des cigarettes, elles proviennent beaucoup des pays de lEst, si on parle de tabac à narguilé, il arrive plutôt du Maghreb et des pays du Golfe. On a aussi des saisies importantes de cigarettes en provenance du nord de lEurope, comme le Luxembourg où la fiscalité est plus avantageuse, et la Belgique.

Côté Savoie, on intercepte aussi des camions qui transportent des cigarettes en provenance dItalie, comme ce poids lourd contrôlé début 2025 sur lautoroute A40 en Haute-Savoie, entre Chamonix et Annemasse, qui avait à bord 21120 cartouches de cigarettes.

• Le Dauphiné Libéré : Quels sont les moyens de transport ?

•• Grégory Guiraud : Tous les vecteurs sont employés par les trafiquants : les voies terrestres, et notamment les autoroutes, qui sont nombreuses dans notre région, mais aussi le réseau secondaire où nous menons de plus en plus dopérations. Comme en ce début dannée à Livet-et-Gavet en Isère, où 5 000 cartouches de cigarettes ont été trouvées dans un camion polonais.

Beaucoup de saisies sont également faites lors de contrôles de colis sur les plateformes logistiques de fret. Ce sont des saisies moins importantes mais qui permettent parfois didentifier des destinataires coutumiers du fait. De beaux dossiers ont ainsi abouti à partir dun simple colis postal.

Mais sur les 1 591 constatations (près de 4 par jour) réalisées par nos services en 2024, plus de la moitié (52 %) portait sur des cigarettes saisies à laéroport de Lyon-Saint-Exupéry. Les vols en provenance de certains pays, comme la Turquie et dautres pays de lEst tels que la Moldavie, requièrent une vigilance particulière. Beaucoup de voyageurs qui en reviennent sont contrôlés avec des valises remplies de cartouches de cigarettes destinées à être revendues dans la région. 

Et puis, phénomène nouveau mais important, on a commencé 2024 par une saisie inédite en France par la brigade de Bourg-en-Bresse : un camion en provenance dItalie qui allait en Belgique et qui transportait plus de 6 tonnes de tabac en vrac mais aussi et surtout des machines et tout le matériel de confection (papier, emballages…) pour installer une usine clandestine de fabrication de fausses cigarettes de la célèbre marque rouge et blanche (voir 23 janvier 2024).

• Le Dauphiné Libéré : Quels profils ont les acteurs de ce trafic ?

•• Grégory Guiraud : Il y a le trafic de « particuliers à particuliers »: des gens qui vont exprès sapprovisionner en Italie ou au Luxembourg, qui font le plein et ramènent des cartouches au voisin, au beau-frère, au cousin…

On travaille aussi de plus en plus sur la revente effectuée via les réseaux sociaux en développant des « cyber-patrouilles » avec des agents spécifiquement formés à la veille sur internet, pour identifier des reventes dans toute la région, y compris dans nos campagnes. Ce sont souvent des gens qui, en marge de leur activité professionnelle, vont se lancer dans ce trafic pour arrondir grassement leurs fins de mois.

Et puis on a de véritables réseaux de trafiquants, à linstar de ce que lon observe traditionnellement pour le trafic de stupéfiants. Avec une structuration des réseaux criminels qui utilisent les mêmes méthodes que les narcotrafiquants en organisant, par exemple, des convois avec des véhicules ouvreurs, pour déjouer les contrôles sur la route. Aujourdhui, on sait que la fraude est protéiforme et que les trafiquants font à la fois dans la drogue, les armes, le tabac, la contrefaçon darticles ou de produits de luxe… Et comme pour le trafic de stupéfiants, on peut craindre d’être de plus en plus confronté à des actes dextrême violence avec lutilisation darmes à feu pour sapproprier ce juteux commerce, comme on le voit sur les points de deal.

• Le Dauphiné Libéré : Est-ce que les trafiquants ne se tournent pas aussi vers le tabac parce qu’ils estiment qu’il est moins réprimé par la justice ?

•• Grégory Guiraud : Les trafiquants de tabac étaient effectivement moins lourdement condamnés que les trafiquants de stupéfiants. Mais ces dernières années, le législateur a pris en compte l’ampleur du phénomène et renforcé les sanctions. Il faut rappeler que nous sommes l’administration de tutelle du réseau des buralistes en France. Le monopole de la vente de tabac appartient à l’État qui, via la douane, délègue la vente des cigarettes à ces professionnels. Ils ont donc des comptes à nous rendre mais nous devons aussi les accompagner, y compris en leur versant des subventions pour qu’ils sécurisent leurs locaux. Le tabac est un produit lourdement fiscalisé et c’est la douane qui est chargée de recouvrer ces taxes, c’est pourquoi elle a toujours été très mobilisée sur le sujet. La nouveauté, c’est que ce trafic a explosé, en parallèle de l’augmentation du prix du paquet de cigarettes. Outre les services de police et de gendarmerie, nous disposons d’un service de douane judiciaire, l’Onaf (Office national anti-fraude) qui peut ouvrir des enquêtes. Et on constate que de plus en plus de dossiers arrivent devant les tribunaux.