Nous reprenons une dépêche AFP édifiante, sur la contrebande de tabac en Seine-Saint-Denis (voir 11 mai et 12 février 2022), signée par Fanny Lattach.
« Malbolo ! Malbolo ! Malbolo ! », scandent des vendeurs de cigarettes à la sauvette en référence aux célèbres blondes dont les pâles copies sont revendues moitié moins cher au pied de stations de métro en Seine-Saint-Denis, un trafic qui prospère et inquiète les riverains.
À peine les escaliers roulants les remontent-ils à la surface que les voyageurs arrivant au terminus Pablo-Picasso à Bobigny sont assaillis par une dizaine de vendeurs, quelques paquets rouges et blancs en main. La contrebande gangrène depuis longtemps le nord de Paris et sa proche banlieue, mais l’activité tend à gagner de nouveaux secteurs.
•• À Bobigny, l’implantation de vendeurs dans cette gare routière très fréquentée est apparue avec la crise sanitaire du Covid-19 et persiste depuis, malgré les patrouilles de police quotidiennes.
« Le phénomène est en hausse, lié aux conditions de vie des personnes qui s’y livrent », originaires surtout du Maghreb et « en situation irrégulière », confirme une source policière du département (voir 13 février 2022).
•• Ainsi au métro Hoche à Pantin (voir 9 juillet 2020) une grappe de jeunes hommes alpaguent le chaland. Un cycliste s’arrête pour s’approvisionner. Les clients d’un café situé à deux pas assistent au trafic, désabusés.
« C’est toujours la même équipe ! Le 24 octobre, je vais au tribunal pour ces conneries », s’énerve Boussad Ouhachi, le serveur. Il y est convoqué pour être intervenu, le mois dernier, « avec une bombe lacrymogène » pour défendre le frère du patron des lieux, lors d’une altercation avec des vendeurs, raconte-t-il.
En plus de générer un sentiment d’insécurité, leur présence vire parfois au pugilat. Le 4 avril, Judith P. s’apprêtait à prendre le métro quand elle arrive au beau milieu qu’une bagarre. « Je vois un vendeur de clopes, avec le crâne ouvert, ça pissait le sang, une balafre de 15-20 cm », retrace cette habitante.
« Je vois une bande de mecs balancer les tables de bistrot, des trucs volent dans des trajectoires un peu aléatoires. Et, à un moment donné, je vois un mec baisser son pantalon et venir coller son sexe contre la vitrine du café et simuler un acte sexuel », s’exclame-t-elle.
•• Avant de remonter les réseaux, « la priorité, c’est de reprendre l’espace public pour assurer la tranquillité des citoyens », assure Ingrid Chemith, la commissaire de Pantin. Rien qu’à Hoche, « plus d’un millier de paquets ont été saisis et 135 interpellations ont eu lieu depuis la mi-mars » dont certaines récemment, calcule-t-elle.
« Une présence très régulière » est maintenue sur le secteur, assure la commissaire. Pour espérer tarir un point de vente, les agents ne doivent jamais baisser la garde. Car quand le chat n’est pas là, les souris vendent … le paquet à 5 euros tout au plus contre 10 dans le commerce. Un prix imbattable !
Pourtant les cigarettes contrefaites contiennent une forte concentration de métaux lourds. « C’est de la belle merde », glisse une source policière qui estime que c’est aussi « un problème d’offre et de surtout de la demande ».
•• Selon un rapport parlementaire paru en 2021, 14 % à 17 % du tabac consommé en France a une provenance illégale, faisant perdre jusqu’à 3 milliards d’euros au fisc (voir 27 décembre 2021).
Moins lucratif que les stupéfiants, le business s’avère tout aussi bien rodé. Les cartons de cartouches de contrebande proviennent d’Europe de l’Est ou du Maghreb, voire d’usines clandestines en France. La marchandise est planquée chez des « nourrices » puis écoulée au compte-goutte par des petites mains. Les règlements de compte existent aussi, le plus souvent à l’arme blanche.
•• Plusieurs sources policières ont confié à l’AFP leur frustration de voir ces petits délinquants faiblement condamnés et peu expulsés, en raison des difficultés avec leurs pays d’origine. Au final, « ça mouline dans le vide », résume une source policière.
Interrogé par l’AFP, le maire (PS) de Pantin Bertrand Kern appelle à la création d’un « vrai dispositif » judiciaire pour poursuivre les auteurs de ce délit.
Aux Quatre-Routes à La Courneuve, le trafic a été freiné par les efforts conjoints de la police et de la justice via des interpellations massives et des « interdictions de paraître » (voir 23 février 2022).
Attablé au café près du métro Hoche, Saïd ne blâme pas les vendeurs, « des pauvres gens qui ont traversé la Méditerranée ». À ses yeux, « c’est à l’État d’agir ».