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30 Juin 2023 | Trafic
 

Afin de contrecarrer les mesures de santé publique en faveur de la lutte contre le tabagisme en Europe, et freiner notamment la hausse de la fiscalité des produits du tabac, les cigarettiers ont pris lhabitude de brandir la « menace sérieuse et croissante » du commerce illicite : au cours de ces dernières années, ils affirment constater une explosion de la contrefaçon résultant des « fortes hausses de taxes répétées ».

C’est ainsi que débute un communiqué d’Alliance contre le Tabac, diffusé dès la publication du rapport KPMG (voir 28 juin), que nous reprenons tel quel.

•• À la source de cet argumentaire, on trouve notamment le rapport annuel du cabinet de conseil KPMG qu’il serait plus juste de nommer le « rapport Philip Morris International (PMI) » : bien qu’il soit médiatisé sous le nom de « rapport KPMG », ce document est un outil de lobbying créé et intégralement financé par PMI pour la somme annuelle de 11 millions d’euros.

Intitulé « Consommation de cigarettes illicites dans l’UE, au Royaume-Uni, en Norvège et en Suisse », ce rapport présente et diffuse des estimations exagérées de l’ampleur du commerce illicite, malgré l’absence totale de méthodologie scientifique. Cette année encore, ce rapport affirme que le marché parallèle des produits du tabac représente plus de 40 % en France.

•• LACT – Alliance Contre le Tabac dénonce linstrumentalisation du commerce illicite par lindustrie du tabac visant à entraver les politiques de santé publique : à partir d’études financées par leurs soins, de l’élaboration de campagnes de désinformation et de l’alimentation d’un marché parallèle, les géants du tabac redoublent d’efforts pour accroître l’importance du commerce illicite afin de contester les augmentations régulières de la fiscalité sur les produits du tabac en France, mesure pourtant reconnue par l’OMS comme étant la plus efficace en matière de lutte contre le tabagisme.

En 2021, le baromètre de Santé Publique France démontrait que dans notre pays près de 80 % des fumeurs ont effectué leur dernier achat de produit du tabac auprès du réseau de buralistes signifiant donc que 20 % des derniers approvisionnements ont été effectués en dehors de ce réseau, sur le marché parallèle. Rappelons que cette notion de marché parallèle, souvent confuse dans l’opinion publique, englobe à la fois une composante légale et illégale :

 Composante légale : regroupe les achats transfrontaliers ou en duty-free, dans le respect des limites imposées par la loi ;
 Composante illégale ou commerce illicite : rassemble les achats transfrontaliers au-delà des volumes autorisés, les produits de contrebande (produits de marques légales mais vendus en dehors du réseau de buralistes) et les produits de contrefaçon (produits qui copient ou imitent les marques légalement vendues en France).

•• Si l’on se réfère aux précédentes études menées par Santé Publique France et aux travaux conduits par d’autres instances officielles telles que l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives)  et la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects, il peut être affirmé que le marché parallèle des produits du tabac, comprenant les achats légaux et illégaux, représente 15 % à 20 % des ventes en France. La part du commerce illicite, quant à elle, représente seulement 6 % de la vente totale des cigarettes.

Pourtant, le dernier rapport de PMI de cette année dépeint un constat alarmant dans notre pays où la « France plombe le bilan de l’Europe » où « près de 40 % de la consommation de cigarettes en France provient du marché parallèle et 15,4 % pour la seule contrefaçon »:

•• La méthodologie de ce rapport, tout comme celle employée pour les éditions précédentes, est critiquée par de nombreux universitaires qui pointent du doigt les biais méthodologiques et le manque de transparence employé par le cabinet de conseil pour arriver à ses conclusions:

Ces enquêtes sont basées sur le ramassage des paquets vides en zones urbaines, réalisées par des agences d’études de marché mandatées par les industriels du tabac, ainsi que sur les données de ventes intérieures légales fournies directement pas les cigarettiers.

Des informations vagues sont fournies sur le calendrier des enquêtes. Les récoltes des paquets vides en France sont notamment effectuées sur des périodes touristiques, ce qui peut favoriser la présence de paquets étrangers pour lesquels on ne peut pas savoir si les taxes ont été payées.

Seules les grandes villes ont été incluses dans les zones de ramassages de paquets vides et par conséquent, les zones non-urbaines sont sous-représentées. De plus, aucune information méthodologique n’est donnée pour s’assurer que les zones choisies soient représentatives de la population.

Les données de ces enquêtes n’ont, à aucun moment, fait l’objet d’une validation externe, la plupart d’entre elles ayant été validées par les fabricants de tabac eux-mêmes. Dans l’ensemble des rapports, KPMG s’affranchit de toute responsabilité en précisant que « Nous (…) navons pas cherché à établir la fiabilité des sources dinformation par référence à dautres éléments ».

Lors de la médiatisation du rapport, PMI entretient sciemment une confusion terminologique autour de la notion de « marché parallèle ». En 2021, Jeanne Pollès, Présidente de Philip Morris France déclarait dans les médias que « Nous avons enfin un rapport officiel qui converge avec nos conclusions : une fiscalité qui amène des prix élevés crée des dommages collatéraux tels que les marchés parallèles, boulevards de revenus des organisations criminelles ».

« Les obligations déontologiques simposant aux représentants dintérêts sont claires : ils sont tenus à la plus grande transparence et à la plus complète sincérité sur lorigine des éléments chiffrés quils adressent à des responsables publics. Sans cette sincérité, la légitimité de leur participation au débat public peut être mise en cause » déclare Patrick Lefas, Président de lassociation anti-corruption Transparency International France.