Selon le CNCT (voir 13 janvier 2023) – dans une tribune publiée sur Liberation.fr et signée de son président Yves Martinet – pour faire baisser la consommation de cigarettes, il faut multiplier les contrôles chez les buralistes qui en vendent aux moins de 18 ans, et mieux réglementer les vapoteuses.
Nous reproduisons intégralement son argumentation.
Malgré d’incontestables progrès obtenus ces dernières années, le tabagisme demeure à des niveaux épidémiques, occasionnant des dégâts considérables dans l’ensemble de la société.
Avec 25,3 % de fumeurs quotidiens en 2021 (voir 13 décembre 2022), le tabac est chaque année à l’origine de 75 000 décès en France. Au-delà d’une catastrophe humaine, le tabagisme, par son coût sanitaire et environnemental, constitue un fardeau financier pour les pouvoirs publics et le contribuable.
Le président Emmanuel Macron a formulé le vœu de parvenir à la première génération sans tabac dans les dix prochaines années. Ainsi, en 2032, la prévalence tabagique des jeunes de 18 ans devra être inférieure à 5 %. La réduction du nombre de fumeurs ne sera rendue possible que par la reprise d’une véritable politique fiscale sur le tabac, dont l’efficacité n’est plus à démontrer.
Mais il faut aller plus loin : l’atteinte d’un objectif aussi ambitieux – et pourtant nécessaire – doit passer par la mise en place d’un plan cohérent et sanctuarisé de lutte contre le tabagisme, pensé sur le long terme et débarrassé des intérêts catégoriels du secteur tabac. Protéger la jeunesse du tabac et de son industrie.
•• La jeunesse, cœur de cible
La jeunesse constitue le cœur de cible structurel des fabricants.
Pour assurer le remplacement permanent de ses consommateurs, l’industrie du tabac doit en permanence recruter de nouvelles générations de fumeurs. L’âge de la première cigarette est déterminant : plus tôt se fait l’initiation, plus forte sera l’addiction. De fait, l’efficacité d’une politique de lutte contre le tabagisme passe d’abord par sa capacité à garantir la protection de la jeunesse. Or, l’accessibilité des produits du tabac pour les jeunes reste l’angle mort des politiques françaises. Une récente enquête montrait que deux buralistes sur trois acceptent encore de vendre du tabac à des adolescents de 17 ans, plus de dix ans après l’entrée en vigueur de la loi l’interdisant.
Le réseau des buralistes bénéficie d’un soutien financier appuyé de la part des pouvoirs publics, précisément en vue d’une sortie progressive du tabac. Pour assurer la protection des adolescents, trois mesures s’imposent :
• d’abord, la multiplication des contrôles et la systématisation de sanctions dissuasives en cas d’infraction.
• ensuite, le plafonnement de la rémunération des buralistes liée à la vente de produits du tabac.
• enfin, le relèvement gradué de l’âge légal de vente de tabac, permettant de s’engager dans un objectif aujourd’hui poursuivi par un nombre croissant de pays : la décommercialisation progressive et maîtrisée de l’ensemble des produits du tabac.
•• Réglementer les nouveaux produits
En quelques années, le paysage de la consommation tabagique et nicotinique a connu une profonde mutation. Les modalités de consommation tabagique et nicotinique se sont démultipliées en dehors de tout contrôle, à la suite d’une stratégie agressive de reconquête de la part d’une industrie devant faire face au déclin constant de la consommation de cigarettes.
Ces produits, comme les vapoteuses, plus récemment arrivés sur le marché, ne sont pas soumis à une réglementation préventive aussi stricte (paquet neutre, interdiction des arômes, fiscalité, etc.). De plus, leur développement peut aussi passer par la violation des réglementations en vigueur, comme l’interdiction de publicité. On le voit à travers des décisions de justice ayant abouti à la condamnation de Philip Morris ou de British American tobacco (ces deux condamnations ont fait l’objet d’un appel).
Le Code de la santé publique interdit la publicité pour les produits du tabac et pour les produits du vapotage avec une exception limitative pour les produits du vapotage sur les lieux de vente.
Mais il peut s’avérer plus avantageux de violer la loi si la sanction est inférieure aux gains obtenus. Au-delà de la nécessité de fournir un cadre réglementaire pour réguler le développement anarchique de ces nouveaux produits, il est indispensable que soient prononcées des sanctions à la hauteur du risque que font peser ces contournements sur la santé publique, et au regard des profits que ces derniers permettent de générer.
•• Interdire le filtre
Enfin, il est temps que les pouvoirs publics se posent la question de l’interdiction des filtres pour l’ensemble des produits du tabac. Une écrasante majorité de fumeurs est encore persuadée que le filtre de leur cigarette permet de diminuer le danger de leur consommation.
Pourtant, les recherches scientifiques montrent que le filtre n’est pas associé à une réduction de risques. Sa vocation est d’abord marketing : il s’agit pour les fabricants d’apporter une réponse aux inquiétudes du fumeur à l’égard de sa santé. Par ailleurs, en réduisant considérablement le caractère âcre du tabac, il participe à faciliter l’initiation tabagique des plus jeunes. Des études récentes soulignent son absence de protection et la pertinence de son interdiction pour inciter à l’arrêt et prévenir l’entrée dans le tabagisme.
Enfin les filtres sont une catastrophe environnementale. Composés de plastiques et constituant la quasi-totalité du mégot, les filtres sont une source majeure de déchets dans le monde, polluant durablement les cours d’eau, les mers, et les océans. À la différence d’autres produits, le développement de filtres biodégradables ou recyclables n’est pas une option envisageable. Quelle qu’en soit la composition, un filtre, après consommation, est chargé de milliers de produits hautement toxiques.
•• Un nouveau plan de lutte contre le tabac doit être prochainement annoncé par les pouvoirs publics. Le rôle de la société civile dans ce domaine est fondamental et un travail d’état des lieux aussi bien en France qu’à l’international a été réalisé par le Comité national contre le Tabagisme, pour l’Alliance contre le Tabac, afin de formuler des recommandations structurées et pouvoir venir en appui d’une politique forte dans ce domaine.
À ce titre, la publication d’un livre blanc Parvenir à une génération sans tabac, contribution de la société civile destiné à fournir un ensemble de propositions, ne peut qu’être utile.