« Les évolutions des prix des cigarettes en France ont longtemps été dictées par une mécanique bien rodée, entretenu par l’industrie. Un contrôle du Ministère de la Santé et d’une enquête pénale sur les pratiques tarifaires des cigarettiers ont toutefois renversé le système ». C’est l’introduction d’une analyse de Christophe G. (contributeur aux Blogs de Médiapart) récemment mise en ligne et dont nous reprenons des extraits significatifs.
•• « Pendant des années, les prix des quelque 500 références de cigarettes ont toujours évolué du même montant le même jour, selon une mécanique rodée qui ne tient pas compte des structures de taxes et des différents segments de prix. Entre 2007 et 2014, et alors que les cigarettiers avaient la possibilité de modifier quatre fois par an, à la hausse ou à la baisse les prix de leurs produits, on constatait trois fois sur quatre que les prix restaient rigoureusement identiques. À la quatrième publication des prix toutefois, tous augmentaient exactement du même montant, toutes marques confondues, en général 30 centimes, le même jour. Cette hausse permettait de garder intacte la différence de 50 centimes entre le segment des marques les moins chères, et celui des marques les plus chères. Résultat, les différentes marques conservaient la même part de marché, et grâce à la hausse homogène des prix de 30 centimes, les cigarettiers voyaient leurs profits augmenter (…)
« Deux évènements ont mis fin à ce bel « ordonnancement ». Tout d’abord deux associations anti-tabac ont joué les lanceurs d’alerte : en janvier 2015, le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) présidé par Yves Martinet porte plainte par la voix de son avocat Pierre Kopp pour entente sur les prix, tandis qu’une seconde association, « Pour Une Nouvelle Politique Anti-Tabac (PUNPAT) », présidée par Pauline Delpech, saisit l’Autorité de la Concurrence. Ces deux actions ont conduit à l’ouverture d’une enquête judiciaire qui s’est traduite par des perquisitions conduites le 24 janvier 2018 dans les locaux de Philip Morris International, Japan Tobacco International, British American Tobacco et Seita Imperial Tobacco.
•• « Ensuite le vote d’un amendement à l’initiative de Bruno Le Roux, alors Président du Groupe socialiste à la Loi Santé de 2016 pour rendre le Ministère de la Santé et la Direction Générale de la Santé co-responsables, avec Bercy, de la gestion des taxes et des prix du tabac. À l’époque, les députés avaient considéré, sur la base d’affaires médiatiques, qu’il existait une trop grande promiscuité entre certains fonctionnaires et les dirigeants des cigarettiers. Enfin, Philip Morris International ne semble plus entendu par le nouveau gouvernement.
« Difficile donc d’exiger, comme chaque année, l’habituel cadeau fiscal via la hausse d’une taxe dite spécifique pour accepter de positionner sa Marlboro seulement 50 centimes au-dessus du prix plancher. Cette perte d’influence a une conséquence : les fabricants de tabac ne peuvent plus s’« arranger » entre eux pour que les prix augmentent tous du même montant, le même jour, comme c’était le cas auparavant.
•• « Les évolutions régulières des prix du tabac s’expliquent d’abord par la « réforme Bruno Le Roux », puis par la crainte de sanctions pénales liées à l’enquête judiciaire en cours sur les soupçons d’entente sur les prix du tabac, et enfin par le fait que Philip Morris International ne réussit plus à obtenir son « cadeau » fiscal. En retour, Philip Morris refuse donc de positionner sa Marlboro 50 centimes au-dessus du prix plancher fixé par le minimum de perception voté à la demande du gouvernement par l’Assemblée Nationale et le Sénat (…)
•• « Les bénéficiaires sont d’abord l’État de droit. S’agissant des cigarettiers, il s’agit déjà d’une nouveauté qu’il convient de saluer ! Ensuite les fumeurs et les buralistes sont gagnants : le prix de la Marlboro cessant d’augmenter artificiellement, les achats transfrontaliers devraient mécaniquement baisser. Le contribuable est gagnant également car il a moins besoin de compenser les baisses de chiffre d’affaire des buralistes via « le Protocole d’Accord sur la modernisation du réseau des buralistes » signé avec Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics.
•• « À terme d’ailleurs, on ne peut que souhaiter que les cigarettes soient toutes vendues au même prix. Ceci pour deux raisons : la première, c’est qu’il n’existe aucune différence entre les cigarettes ; elles contiennent le même tabac, la fabrication est la même, les paquets, filtres sont rigoureusement identiques ; leur coût de fabrication est donc le même, une dizaine de centimes d’euro par paquet. Il n’existe donc aucune raison que leurs prix de vente diffèrent sauf à continuer d’accepter le lobbying des cigarettiers en faveur de taxes (ad valorem et spécifique) différentes.
« La seconde c’est que toutes les cigarettes, qu’elles soient entrées de gamme ou dites premium tuent leurs consommateurs de la même façon, et avec la même « efficacité ». Il n’existe pas de cancer du poumon « entrée de gamme » ou « premium » ! Cette exigence d’un prix unique figurait d’ailleurs dans la tribune par le député LREM François-Michel Lambert, publiée le 5 septembre 2017 dans Challenges. Il n’en a jamais reparlé (…)
« Les seuls perdants de ces changements structurels sur les prix du tabac en France sont les cigarettiers qui sont tous obligés de rogner sur leurs marges. Difficile pourtant de les plaindre : les quatre majors du tabac réalisent chaque année en France un profit d’un milliard d’euros sur lequel ils ne paient que quelques millions d’impôts, grâce à un efficace système d’optimisation fiscale. Pas d’inquiétude donc, il restera toujours à l’industrie du tabac de quoi abonder le Fonds de Prévention contre le tabagisme, la « contribution environnementale sur les mégots » et la mise en place de la traçabilité des produits du tabac telle qu’exigée par le Protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite du tabac, organisé à 98,8% (…)