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24 Juil 2015 | Pression normative
 

Michèle DelaunayLa veille de la manifestation des buralistes devant le Sénat (voir Lmdt du 22 juillet 1 et 2) et de la suppression, par la commission des Affaires sociales du Sénat, de l’article sur le paquet neutre (voir Lmdt des 22 et 23 juillet), la députée PS et rapporteure du PLFSS 2016, Michèle Delaunay, a adressé à Pascal Montredon un long courrier de propositions pour la profession. Dans la perspective d’un « monde sans tabac ». Nous en reproduisons l’intégralité.

« M. le Président, cher Monsieur,

Chacun de nos entretiens a été empreint de respect mutuel, de volonté d’avancer et de le faire de manière constructive à la fois pour votre profession et pour la santé publique. De cela je tiens tout d’abord à vous remercier et c’est au nom de cette attitude mutuelle que je m’adresse à vous.

Chaque jour de ces derniers mois présente son lot de saillies médiatiques de la part de vos mandants. Demain, mercredi, vous protesterez une fois de plus dans la rue contre la loi de Santé. Demain, comme hier, vous dénoncerez mes propos en faveur de la réduction de la consommation des produits du tabac, laquelle fait de nous la lanterne rouge de l’Europe. Tout cela n’allant pas sans outrance ni sans caricature.

Fort heureusement, sur le terrain, je constate que beaucoup des propos de votre corporation sont de moins en moins partagés par le public qui sait que nous ne pouvons demeurer sans rien faire et que notre volonté est de travailler en partenariat étroit avec tous les acteurs et en premier lieu avec les buralistes dont nous saluons le rôle social et le fort investissement professionnel.

Pour ma part, j’émets des propositions sérieuses et précises, dont nous avons d’ailleurs discuté ensemble à plusieurs reprises : 

– améliorer la rémunération des buralistes prévue dans le contrat d’avenir et les accompagner dans la diversification de leur commerce hors tabac ; notre objectif est que les buralistes perçoivent d’ici 3 ans la part que perçoivent aujourd’hui les cigarettiers, soit 11 % du prix de vente. Tous les buralistes que je rencontre sont favorables à cette perspective, que salueraient beaucoup de professions en difficulté et que, pour autant, vous n’évoquez jamais sans que nous en comprenions la raison.

– interdire la vente de tabac en dehors du réseau des buralistes (points relais, en particulier dans les gares où les buralistes ne sont pas admis ; cafés, restaurants, discothèques bénéficiant du statut de Revendeur de tabac ; « Duty Free »). A cela encore, tous les buralistes que je rencontre sont favorables à cette mesure.

– mettre en œuvre un grand plan de lutte contre le marché parallèle de tabac, en engageant au plus vite la ratification du protocole de l’OMS sur le commerce illicite, et en instaurant la traçabilité indépendante des produits du tabac que ce protocole définit. Il faut rappeler sans cesse que 90 % des cigarettes qui composent le marché parallèle sont de vraies cigarettes fabriquées et vendues par les fabricants de tabac eux-mêmes. Sur ce point non plus, nous ne nous entendons jamais, alors que les buralistes de terrain souffrent gravement de la duplicité des cigarettiers.

– travailler de manière incitative et vigoureuse à une convergence fiscale en matière de produits du tabac à l’échelle européenne, permettant une harmonisation à la hausse des prix de vente. Il est urgent en effet d’augmenter la fiscalité des produits du tabac : c’est la seule mesure véritablement efficace pour faire baisser la consommation et plus encore pour éviter l’entrée des jeunes en addiction ; toutes les mesures convergent sur ce point et le dernier rapport de l’OMS vient de le confirmer une fois encore.

« Ni donneuse de leçon, ni provocatrice » comme l’affirme le blog « Le Monde du Tabac », je souhaite simplement faire reculer le tabagisme en France et en Europe. C’est un objectif que je me suis assigné en tant que parlementaire et cancérologue hospitalière pendant près de quarante ans. Aucun Etat ne pourra durablement supporter le fardeau financier que constitue le tabac (47,7 milliards d’euros par an). C’est la pérennité de notre système de santé qui est en cause. Si nous ne réduisons pas radicalement les maladies – et en premier lieu les cancers – évitables, nous n’avons aucune chance d’assumer le coût des innovations technologiques et thérapeutiques qui bouleversent aujourd’hui les perspectives de la médecine.

La responsabilité d’un politique, vous avez raison, est de prendre en compte une réalité économique : le tabac est une réalité économique, et vous êtes des acteurs majeurs en tant que « préposés de l’Administration ». Pour cela, nous devons vous accompagner afin de faire évoluer votre métier sans le mettre en danger. Mais la responsabilité d’un politique est aussi d’avoir une vision d’ensemble et de travailler à l’intérêt général dont la santé est, avec l’éducation, l’indicateur majeur. Les chiffres se suffisent à eux-mêmes et personne ne les conteste : chaque année, 78 000 morts dus au tabac en France (213 par jour) ; 750 000 dans l’Union européenne et 6 millions par an sur notre planète.

Alors M. le Président, comme je vous l’ai exprimé du fond du cœur à plusieurs reprises : travaillons ensemble, loyalement, sincèrement. Travaillons à la renégociation de votre contrat d’avenir et à la lutte contre le commerce hors réseau. Et ne perdons pas de temps à nous caricaturer, l’histoire n’a cure de ces attitudes et de ces retards.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Président, et de partager avec les membres de votre Confédération, mes salutations respectueuses et cordiales ».