Dans Le Journal du Dimanche daté de ce 4 décembre, Gabriel Attal a exposé les axes du plan national de lutte contre le trafic de tabac qui sera présenté aujourd’hui, dans les Pyrénées-Orientales, en présence de Philippe Coy (voir 4 décembre 1 et 2).
•• Le trafic de cigarettes ne cesse de progresser en volume. Votre plan répond-il à une situation d’urgence ?
Gabriel Attal : Nous faisons face à un trafic très lucratif, croissant, qui implique des organisations mafieuses et finance de la très grande criminalité. En 2017, les Douanes, dont mon ministère a la responsabilité, avaient saisi 238 tonnes de cigarettes de contrebande, en 2021 le chiffre atteignait 400 tonnes, il pourrait avoir doublé à la fin de l’année puisque, en dix mois, plus de 600 tonnes ont déjà été saisies.
En 2016, environ 14 000 affaires liées au tabac étaient traitées sur un an par les douanes, aujourd’hui nous en sommes à près de 20 000, ce sont plus de 50 affaires par jour.
Cette criminalité représente en outre une perte fiscale de 2,5 à 3 milliards d’euros pour l’État. Elle pénalise aussi lourdement les buralistes, qui ont pourtant un rôle essentiel à la cohésion des territoires et au lien social. Je veux donc frapper fort.
•• Quelles sont vos mesures prioritaires ?
G. A. : Mon objectif est clair : assécher les trafics et harceler les trafiquants. Il repose sur trois piliers : surveiller, saisir, punir. Nous voulons d’abord renforcer les moyens de surveillance.
La menace a changé de nature. Cette année, nous avons pour la première fois démantelé trois usines clandestines de contrefaçon de tabac sur le territoire ; ces usines situées dans le Nord et en région parisienne produisaient 1 à 2 millions de cigarettes par jour ! Nous allons systématiser l’analyse des tabacs par un service de douane scientifique. Il permettra de les identifier chimiquement et ainsi de remonter les réseaux illégaux.
Au second semestre 2023, nous publierons une cartographie des dix plus grandes organisations criminelles mêlées à ce trafic pour identifier nos cibles : nous nous fixons un objectif de dix réseaux à démanteler chaque année.
Toujours pour mieux surveiller, je débloque 45 millions d’euros pour tripler le nombre de scanners mobiles d’ici à 2025. Ils faciliteront les contrôles de marchandises dans nos ports, nos aéroports et dans les centres de tri postal, où le tabac de contrebande circule en petites quantités dans des colis, mais en nombre.
Enfin, nous créons un vrai réseau régionalisé de Douane cyber, avec des équipes spécialisées qui enquêteront sur les réseaux sociaux, avec l’apport du « Web scraping » (extraction des données d’un site). C’est un gage d’efficacité contre l’explosion de la vente en ligne, qui touche beaucoup les mineurs.
•• Y aura-t-il plus de douaniers affectés à ces missions ?
G. A. : Nous allons créer 300 postes d’ici à 2025 pour lutter contre la fraude, y compris les trafics de tabac. Nous développerons des task forces pour coordonner nos interventions avec la police et la gendarmerie. C’est le cœur du deuxième pilier de ce plan, à savoir la saisie.
Nous l’avons déjà expérimenté avec succès à Lyon, où 11 suspects viennent d’être interpellés et un réseau international démantelé. Dès 2023, nous étendrons cette méthode à Paris, Bordeaux, Lille, Marseille, Toulouse, Mulhouse, Perpignan et Nantes.
La multiplication des descentes douanières et du harcèlement des vendeurs sera l’une de leurs priorités, pour lutter notamment contre la vente à la sauvette, véritable fléau pour nos concitoyens, commerçants et buralistes. L’objectif est de 50 opérations coup de poing dès l’année prochaine, et d’atteindre 100 pour la troisième année du plan, en 2025.
Et, pour saisir plus, la coopération européenne et internationale est indispensable. Je me rends ce lundi à la frontière espagnole, pays avec lequel l’entraide fonctionne bien autour de centres de coopération policière et douanière. Aux frontières, il faut aller plus loin, avec la mise en place d’équipes communes d’enquête.
•• Le trafic de cigarettes attire les organisations criminelles parce qu’il est moins sévèrement puni que celui des stupéfiants. Allez-vous durcir les sanctions ?
G. A. : C’est une nécessité. Le trafic de tabac n’a plus rien à envier aux méthodes des trafics de stupéfiants, et finance de la grande criminalité. Nous y avons travaillé avec mon collègue Éric Dupond-Moretti. Nous voulons punir les trafiquants de tabac comme les trafiquants de stupéfiants. La sanction pour importation ou contrebande de tabac passera de trois à cinq ans d’emprisonnement, et dix ans en cas de bande organisée.
S’agissant de la vente illégale de tabac au détail, nous renforcerons là aussi l’incrimination, en passant de un à trois ans de prison, et de cinq à dix ans en cas de bande organisée. S’agissant de la vente à la sauvette, elle concerne beaucoup des étrangers. Je souhaite donc que nous élargissions au trafic de tabac la peine complémentaire d’interdiction du territoire français. Ce débat aura lieu dans le projet de loi immigration porté par mon collègue Gérald Darmanin.
Enfin, je souhaite que nous sanctionnions davantage les épiceries de nuit et les restaurants qui vendent illégalement du tabac. La durée de fermeture administrative des établissements concernés sera doublée, et passera donc à six mois.
Pour la Douane, je fixe comme objectif que la part des dossiers judiciarisés augmente de 25 % d’ici à 2025. Nous adresserons avec mon collègue garde des Sceaux une circulaire de sensibilisation sur l’ensemble de ces questions aux parquets.