Longue tribune dans Marianne du député des Bouches-du-Rhône et fondateur du parti « Liberté Écologie Fraternité » sur l’un de ses chevaux de bataille : le commerce illégal de cigarettes (voir 10 janvier 2021 et 5 avril 2019).
Il y explique notamment sa proposition de loi déposée en mars fixant des quotas de livraison de tabac par pays, basés sur la consommation domestique, et exige une réponse européenne.
•• « Le 4 février dernier en présentant la stratégie décennale de lutte contre le cancer, le président de la République a érigé la guerre contre le tabagisme en « priorité absolue » en appelant de ses vœux la génération qui aura 20 ans en 2030 à être la première génération sans tabac (voir 4 février 2021). Des mots forts, incantatoires, malheureusement restés sans suite.
En fixant cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron sait parfaitement que les milliards empochés par les cigarettiers devraient d’abord servir à rembourser les dégâts sanitaires conséquents provoqués par le tabac.
Pour rappel, le coût social du tabac se chiffre à 120 milliards d’euros par an (soit 1 800 euros par an et par habitant, non-fumeurs compris), quand les recettes fiscales sur le tabac ne rapportent « que » 16 milliards d’euros par an.
•• L’idée n’est sans doute pas de jouer les pères fouettards et d’une nouvelle fois pénaliser les fumeurs, qui portent généralement seuls l’ensemble des mesures prises contre les cigarettiers.
En réalité le problème est double : en augmentant les prix sans régler le problème du commerce parallèle, on continue à jouer le jeu des cigarettiers qui gagnent sur les deux tableaux en voyant leurs profits grimper en flèche sur le marché du trafic illicite.
Comme l’a récemment et douloureusement rappelé l’affaire Setrouk, pour laquelle j’ai saisi Rémy Heitz, Procureur de la République au titre de l’Article 40 du Code de procédure pénale, tout laisse suspecter l’existence d’un réseau organisé de commerce parallèle de cigarettes sur le territoire européen.
Une chose est sûre : ces mesures contribuent à accroître le commerce parallèle dans les pays frontaliers. La fermeture des frontières due à la Covid l’a d’ailleurs montré sans détour, provoquant une hausse des recettes fiscales sur les ventes de cigarettes de 2,3 milliards d’euros, particulièrement visible chez les buralistes frontaliers, habituellement pénalisés par les ventes transfrontalières.
•• Une cigarette sur trois fumées en France est aujourd’hui encore issue du commerce parallèle, soit 16 milliards de cigarettes tous les ans. Pourtant, cela fait 17 années que j’appelle à l’action pour mettre fin au commerce parallèle de tabac.
Et pour cause, ce dernier engendre un gigantesque manque à gagner fiscal : 5 milliards d’euros par an en France, 17 milliards d’euros pour les 27 État membres de l’UE. Il cause également un manque à gagner conséquent pour les buralistes, avec 400 millions d’euros de pertes, soit 4 fois plus que les aides qui leur sont accordées par l’État.
•• Si les articles de presse et des reportages sur le commerce parallèle de tabac se multiplient, il n’est quasiment jamais précisé que ces cigarettes de contrebande sortent, directement ou indirectement, des usines des cigarettiers. Là encore, je sais qu’il s’agit là d’un sujet que nombre de représentants des buralistes n’aiment pas évoquer, les fabricants de tabac étant des fournisseurs importants du réseau.
Si cependant nous voulons avancer et régler le problème du commerce parallèle, il convient de mettre des mots sur les maux.
•• Si on connaît le problème depuis des années, on en connaît aussi la solution. Il existe en effet un outil très efficace pour lutter contre ce phénomène : le Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite de tabac ».
Ce texte, entré en vigueur en septembre 2018 a été ratifié à ce jour par plus de 60 États, dont la France en 2015 et l’UE en 2016 (voir 9 mai 2018 et 28 octobre 2015) mais il reste lettre morte du fait du lobbying forcené de l’industrie et l’inertie coupable de la Commission et du gouvernement. Il contient pourtant des mesures concrètes qui pourraient réduire radicalement, voire éradiquer, le commerce parallèle et tous les problèmes qu’il cause.
Le Protocole propose ainsi d’imposer des quotas de livraison de tabac par pays basés sur la consommation domestique (Article 7) et d’exiger la mise en place d’une traçabilité strictement indépendante à la fois des contenants de tabac ainsi que des équipements permettant sa fabrication.
Il s’agit en amont comme en aval, d’empêcher les fabricants de tabac de surproduire et de surapprovisionner les pays à fiscalité plus douce (Article 10). Le texte établit que chaque État fixe en début d’année la quantité de tabac qu’il souhaite mettre à disposition de ses consommateurs.
Comme je le précise dans une proposition de loi que j’ai déposée plus tôt ce mois-ci à l’Assemblée nationale, cette quantité pourra évoluer chaque année en fonction des priorités de santé publique et fiscale, sans jamais pouvoir dépasser +5% de la quantité de tabac théorique nécessaire, réactualisée chaque année en fonction de la consommation réelle enregistrée l’année précédente.
•• Aujourd’hui, les majors fournissent près de 3 milliards de cigarettes au Luxembourg tous les ans, alors que seules 600 millions y sont consommés. Même constat en Andorre (850 millions de cigarettes pour une consommation interne de 120 millions). A contrario, en France où la fiscalité sur les cigarettes est plus importante, les cigarettiers devraient livrer quelque 55 milliards de cigarettes, alors qu’ils n’en livrent que près de 40 milliards aujourd’hui.
Grâce au Protocole de l’OMS, le pays gagnerait chaque année quelque 5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires. La réponse au commerce illicite devra donc à terme être européenne. Aussi, il sera nécessaire de porter cette résolution devant les parlementaires européens dans le cadre de la révision de la Directive des Produits du Tabac qui doit intervenir en 2022.
Ainsi, demain, les fabricants de tabac ne pourraient plus livrer dans les 27 États membres de l’UE plus de tabac que les marchés l’exigent.
•• Aujourd’hui on ne lutte contre le commerce parallèle de tabac que par la limitation du transport de tabac qui a prouvé son inefficacité, par les saisies douanières qui ne représentent que 2 % des 16 000 tonnes du commerce parallèle.
En outre, la promesse d’une harmonisation des taxes sur le tabac en UE n’a aucune chance d’aboutir avant plusieurs décennies, les prix oscillants aujourd’hui entre 3 euros en Bulgarie et 13 euros en Irlande. On écope donc la voie d’eau avec une cuillère à soupe.
•• Seuls les quotas de livraison de tabac par pays tels que définis par le Protocole de l’OMS, avec un système de traçabilité infaillible et indépendant des majors, peuvent empêcher demain les cigarettiers d’alimenter le commerce parallèle.
Ma proposition de loi va dans ce sens et elle porte, à l’instar du président Emmanuel Macron, cette même ambition de lutter contre le tabagisme. Mais il existe toutefois une grande différence : elle s’attaque au lobby du tabac, pas uniquement aux consommateurs. »