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5 Oct 2022 | Profession
 

À l’occasion de l’annonce gouvernementale d’une évolution de la fiscalité du tabac dans le cadre du prochain Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale / PLFSS (voir 27 septembre 1 et 2), l’hebdomadaire Marianne publie une tribune d’Hippolyte Septier (étudiant à l’École normale supérieure de Paris-Saclay) que nous reprenons.

Son propos : « démagogique en temps normal, la hausse du prix du paquet de cigarettes, prévue dans le Projet de Loi Financement de la Sécurité sociale, vire à la casse sociale en période d’inflation. »

« Après la profusion d’argent public avec la politique du « quoi qu’il en coûte », voici venue « la fin de l’abondance » et avec elle, son lot de restrictions budgétaires. Cette politique qui se veut à « l’euro près » se traduit dans le projet de Loi Financement de la Sécurité sociale (PLFSS) par une augmentation drastique des taxes sur le tabac. 

•• Dans ce projet de loi présenté en Conseil des ministres lundi 26 septembre, il est proposé de déplafonner l’inflation et d’indexer le prix du tabac sur l’inflation de l’année N-1 pour augmenter ses recettes. Cette pirouette fiscale consiste en un virage à 180 degrés avec le fonctionnement actuellement en vigueur. Jusqu’ici, l’évolution du prix du tabac était indexée sur l’inflation nationale sauf que cette dernière était plafonnée à 1,8 % et calculée sur l’année N-2.

En d’autres termes, la mesure entraînerait dès mars 2023 une hausse de près d’un euro sur le prix d’un paquet de cigarettes et une augmentation plus grande encore concernant le tabac à rouler. Démagogique en temps normal, cette mesure, par temps inflationniste, vire à la casse sociale, puisque sans aucun plafond, on peut imaginer un paquet dont le prix pourrait, à terme, dépasser les 15 euros.

•• La hausse des prix du tabac apparaît comme un instrument de lutte plus que limité pour endiguer et réduire le nombre de fumeurs dans notre pays. Déjà, la France s’illustre tristement avec la prévalence tabagique la plus forte d’Europe de l’Ouest en comptant 25,5 % de fumeurs quotidiens, soit près de 12 millions de personnes et même 15 millions si l’on compte les fumeurs occasionnels.

Ensuite, selon les chiffres rapportés par Santé publique France, la prévalence tabagique est repartie à la hausse en 2020 après plusieurs années de légères baisses et notamment en raison de l’augmentation du nombre de fumeurs parmi les plus défavorisés

Alors que le gouvernement se fixait un objectif de prévalence tabagique de 24 % à horizon 2021, force est de constater que celui-ci n’est pas atteint. Pire encore, malgré la multiplication par trois du prix du paquet de cigarettes, les plus pauvres fument plus qu’il y a vingt ans, et près de la moitié des chômeurs sont des fumeurs quand seuls 27 % des actifs occupés le sont.

•• Cette relative indifférence au prix du paquet de la part des consommateurs, et notamment de la part des plus défavorisés, est telle que selon une enquête d’opinion d’Opinionway réalisée en août 2022, les plus pauvres préfèrent se passer de plaisirs annexes – restaurants, vacances, loisirs – que d’arrêter de fumer et consommer de l’alcool (voir 9 septembre).

Or, le Gouvernement, bien conscient de cette situation, sait pouvoir trouver dans cet attachement au tabac une manne financière non négligeable au détriment des plus pauvres.

Cette façon de faire peser sur les plus faibles son indigence dans la gestion des finances publiques apparaît d’autant plus injuste quand on connaît les réticences du Gouvernement à envisager une taxe sur les super-profits des entreprises qui voient dans la conjoncture actuelle davantage une opportunité que des surcoûts. Le principe du Non bis in idem (« nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ») ne semble visiblement pas préoccuper les décideurs puisque non seulement les plus pauvres n’arrêtent pas de fumer mais ils perdent en plus en pouvoir d’achat.

•• Mais au-delà de ces questions de pouvoir d’achat, ces hausses de prix ont pour conséquence de nourrir un marché parallèle toujours plus important. L’explosion des trafics se manifeste à la fois par la contrebande avec l’entrée illégale de cigarettes venues de l’étranger sur le territoire national, et par la contrefaçon avec la vente illégale de cigarettes non conformes et dangereuses.

Les pertes financières induites sont bien plus conséquentes que les recettes fiscales que compte récupérer le gouvernement : en 2021, la Commission des finances de l’Assemblée nationale estimait à 3 milliards d’euros par an les pertes de recettes fiscales liées à ces activités souterraines quand les professionnels du tabac les évaluent à 6 milliards.

Or, outre le manque à gagner pour l’État sur les recettes fiscales, c’est tout un tissu économique qui en est affecté puisque cela représente des centaines de millions d’euros de revenus en moins pour les buralistes. Cela ne va pas sans compter les problèmes de sécurité qu’induit l’explosion d’un tel trafic.

À ce sujet, s’enquiert-on du harcèlement des vendeurs à la sauvette que subissent les habitants des grandes villes, et particulièrement ceux des quartiers de Barbès et de Porte de la Chapelle à Paris ou de la Guillotière à Lyon ? (voir 6 août). Devenu un précieux sésame, le paquet de cigarettes fait l’objet de convoitises et est source de nouvelles violences. Pas plus tard qu’en août dernier, deux clandestins marocains ont été condamnés pour avoir agressé un homme au couteau pour une cigarette.

•• En définitive, il est regrettable que le Gouvernement n’ait pas à l’esprit les promesses qu’il a formulé, lui qui avait garanti la non-augmentation des impôts.

L’inflation et la hausse des prix du tabac ne sont qu’un prétexte servi aux Français afin de couvrir sa responsabilité. Cela est d’autant plus dommageable que cette taxe déguisée vient financer le « quoi qu’il en coûte » sur le dos des plus faibles déjà bien trop atteints par le contexte économique troublé.

Oui, le gouvernement est dans son rôle lorsqu’il dit vouloir faire sortir les fumeurs de leur dépendance et réduire le nombre de nouveaux adeptes. Toutefois, la réponse ne peut pas simplement consister en un matraquage fiscal. »