Les cigarettiers cherchent la parade à la baisse de consommation de cigarettes et misent sur les alternatives au tabac. Décryptage signé par Keren Lentschner dans Le Figaro. (…) Les cigarettiers peinent, en effet, à freiner l’érosion de la consommation mondiale de tabac, qui s’accélère depuis dix ans.
Philip Morris International, la maison mère de Marlboro, première marque vendue au monde, a ainsi vu ses livraisons chuter d’un tiers entre 2011 et 2022. Cela ne devrait pas s’arranger dans les années à venir.
Le marché mondial devrait chuter d’un tiers d’ici à 2027 sous le double effet de la réglementation et de la montée en puissance des alternatives au tabac, selon le cabinet Euromonitor. L’an passé, les volumes de cigarettes vendus à travers le monde auraient reculé de 8 %, selon le cigarettier américain Altria (voir 2 novembre 2022). Avec un net clivage entre les pays occidentaux et les pays émergents.
•• L’Europe de l’Ouest a, en effet, connu en 2022 sa plus forte chute en volumes en dix ans (- 4,4 %) et les États-Unis un déclin historique (- 8,5 %), selon Euromonitor.
Si les volumes se sont stabilisés l’an passé en Europe de l’Ouest (- 0,4 %), la chute s’est poursuivie à l’identique aux États-Unis. Outre-Atlantique, de nombreuses personnes arrêtent, en effet, de fumer, réduisent les quantités de façon significative ou se tournent de plus en plus vers des produits d’entrée de gamme en raison d’une pression importante sur leur pouvoir d’achat. Ce qui suscite l’inquiétude de plusieurs géants du secteur. BAT réalise dans le pays 46 % de son chiffre d’affaires.
Altria, la totalité de son activité : le groupe a vu ses ventes de cigarettes baisser de 2,4 % l’an passé. Même Marlboro, sa marque vedette sur le marché américain, cède du terrain (- 0,4 point de part de marché, à 42,1 %). La faute à une chute des volumes (- 9,9 % chez Altria) liée aux pressions sur le pouvoir d’achat.
•• Jusque-là, les cigarettiers avaient réussi à préserver leur chiffre d’affaires et leur rentabilité grâce aux hausses de prix quand leurs volumes chutaient. Mais ce n’est plus le cas de tous.
Aux États-Unis, « BAT subit une forte pression sur ses marques premium. C’est la preuve que sa stratégie de hausse des prix a atteint ses limites », constate un expert. « Après deux ans de tensions macroéconomiques, l’impact sur le pouvoir d’achat reste important aux États-Unis comme en Europe », estime Tatiana Bobrovskaya, analyste du secteur chez Fitch Ratings, « il faudra du temps avant que les habitudes de consommation des fumeurs reviennent à la normale. En parallèle, il y a de plus en plus de consommateurs soucieux de leur santé, et une régulation qui devient de plus en plus stricte pèse sur les ventes de cigarettes. »
Les cigarettiers subissent, en effet, un durcissement réglementaire dans la plupart des pays occidentaux. Aux États-Unis, le secteur fait face au projet d’interdiction des cigarettes au menthol, prévue cette année. Un coup dur pour BAT : elles représentent plus de la moitié de ses volumes aux États-Unis. La Food and Drug Administration envisage aussi de réduire le taux de nicotine dans les cigarettes pour les rendre moins addictives.
•• Les pays émergents échappent encore en partie à ce retournement. En 2022, l’Amérique latine et l’Asie-Pacifique, plus vaste marché au monde (il est huit fois plus gros que celui de l’Europe de l’Ouest), étaient les seules régions en croissance (+ 2 %).
Mais, là aussi, les tendances évoluent fortement. La consommation de cigarettes y est désormais stable, tant en Amérique latine (+ 0,4 %) qu’en Asie-Pacifique (- 0,3 %). Cela s’explique par la montée en puissance des plans antitabac sous l’effet de l’augmentation des maladies chroniques et par le développement des alternatives au tabac. « L’industrie du tabac n’a pas réussi à compenser l’érosion des volumes, son chiffre d’affaires a reculé l’an passé de plus de 3 % au niveau mondial (hors Chine) », relève Euromonitor.
•• Ces tendances de fond ont conduit la plupart des cigarettiers à accélérer leur stratégie de diversification vers le vapotage et les produits sans combustion (cigarette électronique, tabac à chauffer, sachets de nicotine par voie orale…).
Philip Morris (voir 21 juillet 2023), qui a fait figure de pionnier en promettant dès 2017 un « monde sans fumée », conserve une longueur d’avance avec déjà plus d’un tiers de ses revenus en dehors du tabac, tiré par ses deux marques vedettes, Iqos (tabac à chauffer) et Zyn (sachets de nicotine). L’entreprise a annoncé récemment qu’elle investirait 3,5 à 3,7 milliards de dollars sur trois ans, dont 75 % dans ses nouveaux produits. Elle en a profité pour revoir ses objectifs à la hausse en visant désormais les deux tiers de ses revenus en dehors du tabac d’ici à 2030.
Même pari ambitieux pour BAT (voir 6 décembre 2023). Ses nouveaux produits – qu’il s’agisse de ses e-cigarettes Vuse, de ses sachets de nicotine Velo ou de son tabac à chauffer Glo – représenteront 50 % de son chiffre d’affaires d’ici à 2035. « Nous prévoyons désormais que les nouvelles catégories atteindront dans l’ensemble l’équilibre en 2023, soit deux ans avant notre objectif initial », déclare Tadeu Marroco, qui rappelle qu’environ 10 % du milliard de fumeurs consomment ces produits.
Challenger, Imperial Brands (voir 17 novembre 2023) a vu ses produits de nouvelle génération progresser de 26 % l’an passé, dopé par ses ventes d’e-cigarette (Blu 2.0., Blu Bar). Pour alimenter sa croissance en 2024, il table sur son arrivée en Europe sur le marché du tabac à chauffer (Pulze) et sur celui des sachets de nicotine aux États-Unis (Zone X, Skruf).
•• Mais, là non plus, ce n’est pas un long fleuve tranquille. Il s’agit d’investissements lourds, risqués, pas toujours rentables, pour convaincre les consommateurs de se tourner vers ces nouvelles catégories de produits. En outre, si les cigarettiers se sont habitués à un oligopole sur le tabac, le marché des produits alternatifs est bien plus fragmenté, avec une multitude de produits et de marques chinoises commercialisées par des importateurs ou des nouveaux entrants.
Sans parler du développement de produits de contrebande ou de contrefaçon. Pour preuve, l’explosion des ventes de cigarettes jetables (ou puffs), qui font un carton auprès des jeunes depuis deux ans. Si elle a profité à plein aux cigarettiers qui se sont positionnés sur ce créneau, ces derniers ont également été victimes du commerce parallèle. Aux États-Unis, la prolifération de cigarettes électroniques jetables illicites a tiré le marché vers le bas et plombé les ventes de BAT comme d’Altria.
•• Sur le terrain des alternatives au tabac, la réglementation tend aussi à se durcir.
Si la Grande-Bretagne a décidé de miser sur les e-cigarettes pour réduire le nombre de fumeurs, ce n’est pas le cas de tous les pays occidentaux qui se montrent de plus en plus méfiants. En octobre dernier, la FDA a interdit la vente des cigarettes électroniques au menthol de BAT (Vuse Alto). Le ton se durcit aussi contre les puffs. L’Australie a interdit fin novembre leur importation à compter du 1er janvier.
En Belgique, une taxe sur les e-liquides est appliquée depuis le 1er janvier. En France, après un vote du Parlement, la mise hors la loi des puffs devrait devenir une réalité d’ici à l’été prochain. En Angleterre, ça devrait être le cas début 2025.
Les cigarettiers doivent composer avec une réglementation plus stricte et des gouvernements décidés à ne pas leur faire de cadeaux.