Dans son édition des 9/10 janvier, Le Monde revient sur les conséquences de la nouvelle réglementation de la commercialisation du CBD (voir 1er, 5 et 7 janvier). Extraits.
Les promoteurs du cannabidiol (CBD) savaient qu’ils avaient peu de chance d’obtenir complètement gain de cause, vendredi 7 janvier, devant le Conseil constitutionnel. Et, sans surprise, l’institution a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité qu’ils avaient déposée, à propos des critères de définition des stupéfiants, pour défendre l’usage du cannabis non psychotrope (…)
Dans leur viseur, l’arrêté ministériel du 31 décembre 2021, qui interdit « la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation » (…)
La vente de fleurs forme, en effet, l’essentiel du chiffre d’affaires des 1 800 boutiques de CBD installées en France. L’arrêté du 31 décembre, justifié principalement par des motifs de santé publique, constitue donc, pour la filière, un séisme.
•• La part des fleurs compose ainsi 90 % des revenus d’Alexandre Boussini, gérant de la boutique de CBD Zen Emeraude, située dans le XIIe arrondissement de Paris. Conséquence, le propriétaire de 31 ans a préféré ne pas ouvrir lundi 3 janvier, craignant également « de se faire perquisitionner ». M. Boussini ne sait, dit-il, que faire du stock de fleurs qui lui reste sur les bras.
Les produits cosmétiques et de vapotage restent autorisés sous réserve que leur teneur en THC ne soit pas supérieure à 0,3 %. Même chose pour les denrées alimentaires, qui doivent n’être composées que de fibres ou de graines de chanvre. Mais ces produits sont, selon M. Boussini, insuffisants : si la décision du gouvernement est implacable, il « n’aura pas le choix » que de fermer boutique, affirme-t-il.
•• Au sein du magasin de CBD Aoma (Paris, XIe) des cartons sont remplis de fleurs de CBD. Jean-François Baï, président de ladite société, a décidé de liquider tous ses stocks de fleurs après la publication du décret. « C’était le branle-bas de combat pendant deux jours », décrit le gérant du magasin, qui a ouvert ses portes en octobre 2021. « On a fait des promotions sur le site et passé le mot à nos clients », poursuit-il.
Mains posées sur la table en verre siégeant au milieu du magasin, M. Baï explique avoir « très mal » réagi face à la décision du gouvernement. « On a des partenaires grossistes et on écoulait entre 50 et 100 kilos par mois. »
Toutefois, le gérant s’estime chanceux par rapport aux autres boutiques, car l’interdiction ne touche que 50 % de son chiffre d’affaires. Les huiles, les cosmétiques et les produits alimentaires ont une bonne place dans son magasin et ils pourraient sauver son activité. « Cette partie bien-être est une perspective d’avenir », concède le responsable. Mais ça pourrait ne pas suffire et le propriétaire évoque la possibilité de moins faire appel aux sept personnes en free-lance qui travaillent ponctuellement pour lui.
•• Brice Masseix, gérant du réseau de boutique Purple Store, travaille, lui, sur une transformation de son catalogue pour « développer des produits qui ne sont pas exclus par l’arrêté ». L’homme de 34 ans réfléchit à des moyens pour « compenser ses pertes ». Sa commande hebdomadaire est variée, des huiles aux chocolats, mais ne comporte donc plus aucune fleur. Le gérant de six boutiques parisiennes craint aussi de perdre une partie de sa clientèle. « Ils auront peut-être peur de venir, peur d’éventuelles sanctions », s’interroge-t-il (…)
•• Le 23 juin 2021, la Cour de cassation avait estimé que le CBD pouvait être vendu en France s’il était produit de manière légale dans un autre pays européen. En revanche, la Cour n’avait pas tranché sur la question de l’interdiction de la commercialisation en lien avec un objectif de santé publique. La CJUE ( Cour de Justice de l’Union européenne ) avait, elle, invité la France à « apprécier les données scientifiques disponibles afin de s’assurer que le risque réel allégué pour la santé publique n’apparaît pas comme étant fondé sur des considérations purement hypothétiques »
C’est donc, justement, ce motif de santé publique qui forme la justification principale de l’interdiction de la vente selon un texte explicatif présent sur le site de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca / voir 2 janvier). « Outre une teneur en THC plus importante dans les fleurs et les feuilles brutes qui les rapprochent des stupéfiants, les risques liés à la voie fumée sont établis », souligne le document
Ces affirmations s’appuient principalement sur une note rédigée par l’Association française des centres d’addictovigilance, datant de décembre 2021. Elle précise que le CBD peut agir sur les « récepteurs cérébraux, par des effets psychoactifs notamment à type de sédation et de somnolence ». La note « met également en évidence que les effets indésirables de certains médicaments [comme des antiépileptiques ou des anticoagulants] peuvent être augmentés quand on prend du CBD en parallèle », détaille Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca.
•• Des arguments qui ne passent pas au niveau des organisations représentatives du CBD.
Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre, avance les bienfaits du CBD, notamment pour les utilisateurs souhaitant arrêter la consommation de cannabis. « Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que les consommateurs de cannabis récréatifs utilisent les fleurs soit pour arrêter totalement le THC, soit pour diminuer fortement leur consommation », argue-t-il.
L’argument sanitaire se double de l’argument sécuritaire. Le texte de la Mildeca affirme que les forces de sécurité intérieure doivent « pouvoir discriminer simplement les produits, afin de déterminer s’ils relèvent ou non de la politique pénale de lutte contre les stupéfiants » (…)