BAT a annoncé la dépréciation de 29 milliards d’euros de la valeur de plusieurs de ses marques. Face à la diminution de la consommation de cigarettes, elle souhaite accélérer sa diversification (voir 6 décembre 2023). Un dilemme de la transition comparable à celui des entreprises pétrolières, observe Philippe Escande, journaliste au Monde.
Nous reproduisons sa chronique intégralement (même si celle-ci intègre certaines approximations).
Le tabac est au cœur de la longue histoire commune entre les États-Unis et le Royaume-Uni. British American Tobacco (BAT) est né en 1902 de la fusion de deux empires de la cigarette de part et d’autre de l’Atlantique, Imperial Tobacco et American Tobacco. Cette mixité s’est encore renforcée en 2017 quand BAT a mis la main sur l’Américain Reynolds, le producteur des Camel, Lucky Strike et Dunhill aux États-Unis (voir 20 juillet 2017).
•• En annonçant ce 6 décembre déprécier près de 30 milliards d’euros de la valeur de ces marques prestigieuses, la firme a acté la fin programmée de cette aventure. Dans trente ans, ces marques ne vaudront plus rien. En cause, le déclin accéléré de la cigarette aux États-Unis. On en fumait 400 milliards en 2001, contre moins de la moitié en 2021. Les messages de santé publique, associés aux coûts croissants du produit, ont fait leur œuvre.
C’est la cigarette du condamné pour le roi du tabac qui a passé des décennies à minimiser l’impact de ses produits sur la santé. Désormais, son slogan est : « Construisons un monde sans fumée. »
L’homme n’en a pas fini avec son addiction préférée. Mais on lui préfère les vaporettes, plus sophistiquées, voire la nicotine à croquer ou mâcher. Passer d’un métier à l’autre n’est pas aisé. La cigarette est très rentable quand la vaporette n’atteindra son point mort que cette année. Résultat, la Bourse ne valide pas du tout la stratégie de transition de BAT, qui masque une moindre performance par rapport à ses concurrents.
•• Cette affaire n’est pas sans rappeler la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les groupes pétroliers qui doivent gérer une activité très profitable, mais dont le terme est connu, la quasi-disparition vers 2050-2060. Face à cela, trois stratégies sont possibles.
La première est le déni, c’est celle des Américains, ExxonMobil en tête, qui extraient le plus de valeur possible de leurs champs pétroliers, tout en évitant les investissements à trop long terme. La deuxième, plus périlleuse, est l’abandon pur et simple, comme le Danois Orsted qui a soldé tous ses actifs pétroliers en 2017 pour se convertir à la production d’électricité renouvelable. Et puis il y a la stratégie intermédiaire, celle de BAT, choisie par les pétroliers européens BP, Shell et TotalEnergies.
On continue l’ancien métier et on utilise le cash pour investir dans l’électricité et les énergies renouvelables. Une transition bienvenue mais délicate. On prend le risque de se fâcher aussi bien avec les investisseurs financiers qui constatent la faible rentabilité des nouvelles activités qu’avec la société civile qui veut aller plus vite. Il est encore plus difficile d’arrêter le pétrole que la cigarette.