Lors du confinement, en 2020, les réseaux de trafiquants de tabac ont dû trouver de nouvelles sources pour s’approvisionner … La solution est venue de l’Est et de contrefaçons encore plus rentables que la simple contrebande. La Provence a mené sur le sujet une enquête exclusive que nous reprenons.
À Marseille, les cigarettes de contrebande – et pour beaucoup, désormais, de contrefaçon – font partie du décor aux abords du Marché aux Puces (15ème / voir 2 septembre) ou encore dans le quartier de Noailles (1er), où les vendeurs à la sauvette se font à peine discrets pour proposer leurs produits.
•• Depuis 2020, le « paysage » du trafic a évolué. D’une part, le prix du paquet a atteint cette année-là le seuil psychologique des 10 euros. Mais surtout, les mesures de confinement mises en œuvre en raison de la pandémie de Covid-19 ont brutalement bloqué les sources d’approvisionnement à l’étranger, tant dans la limite des importations autorisées (une cartouche par personne), que pour la contrebande classique, depuis l’Espagne, la Belgique ou encore l’Algérie, assurée par « des mules «.
Ce coup d’arrêt a entraîné une reconfiguration des réseaux, forcés de passer de la contrebande (de « vraies » cigarettes achetées moins cher à l’étranger) à la contrefaçon : soit des cigarettes fabriquées dans des usines clandestines, directement installées dans des pays de l’Union européenne. Un choix plus évident d’un point de vue logistique, car le fret continuait à circuler librement. Ce changement s’est avéré encore plus rentable.
•• Le phénomène est observé de très près par d’autres protagonistes : les cigarettiers eux-mêmes, notamment le groupe Philip Morris, dont la marque phare Marlboro est aussi la plus contrefaite.
« Le Covid a porté un coup d’arrêt aux mules qui s’approvisionnaient auprès de commerçants algériens. Mais les réseaux de vente à la sauvette avaient besoin de s’approvisionner, c’est là que les contrefacteurs d’Europe de l’Est ont trouvé des débouchés conséquents », résume Daniel Bruquel, chef du service de prévention du commerce illicite chez Philip Morris France (voir 30 juin).
Le « Monsieur trafic » du cigarettier observe depuis une décennie l’évolution de la contrebande, afin d’aider les services de l’État à identifier les produits. Il a vu la contrefaçon « made in Europe » exploser en quelques années. « On estime que 40 % de la consommation ne sort pas de chez le buraliste. Dans ces 40 %, la contrefaçon représente 15 %, et jusqu’à 20 % à Marseille. Or, en 2017, c’était quasiment 0 %, on était surtout sur de la contrebande », poursuit Daniel Bruquel.
•• Derrière ces fausses cigarettes, des usines clandestines en Europe, pour la plupart implantées en Pologne, mais aussi en Belgique ou … en France (voir 19 janvier).
« Ce sont essentiellement des mafias d’Europe de l’Est, polonaises, ukrainiennes et arméniennes qui sont à la manœuvre », relève le spécialiste de chez Philip Morris, rappelant que 123 usines ont été démantelées au sein de l’Union européenne en 2022 – dont une poignée étaient situées en France.
Au prix de gros, ces fausses cartouches reviennent entre 10 et 15 euros l’unité. « À la fin, le vendeur à la sauvette se fait peut-être un euro par paquet, ça paraît peu, mais la culbute se fait à chaque intermédiaire, et si on agrège tout, la rentabilité est extrêmement forte. Et les risques pénaux sont plus faibles que pour les stupéfiants », pointe Daniel Bruquel (…)
Chez Philip Morris, l’on pointe le préjudice considérable causé à la filière et notamment aux buralistes : « on estime que l’ensemble de ce tabac qui ne sort pas du réseau représente une perte de marge de 100 000 euros pour chacun des buralistes Marseillais. »