Dans ce quartier de bars et de cafés d’ordinaire animés d’Istanbul, les tables restent vides depuis que les taxes sur l’alcool ont augmenté de 50 % en janvier, relate une dépêche AFP, signée Fulya Ozerkan que nous reprenons partiellement.
Debout devant le pub de Besiktas où il travaille, sur la rive européenne, Suleyman Gunes, 32 ans, essaie d’attirer les clients quand tombe le soir. « Avant, à cette heure-ci, on était plein à 80, 90 % contre 30 à 40 % aujourd’hui », confie-t-il à l’AFP, « les clients tournent le dos dès qu’ils voient les prix sur la carte ».
•• Au début de l’année, le gouvernement turc a annoncé une hausse de 47,4 % des taxes sur l’alcool et le tabac (voir 1er janvier 2021) frappant de plein fouet des bars et restaurants déjà affectés par la pandémie de coronavirus. Et poussant des particuliers à produire leur alcool maison.
Des barmen racontent à l’AFP les nouvelles habitudes des clients, qui partagent parfois une bouteille de bière, quand d’autres restent plusieurs heures au bar avec un seul verre de vin.
Le président Recep Tayyip Erdogan, un musulman pieux dont le parti conservateur AKP est au pouvoir depuis 2002, est accusé de vouloir islamiser la société en s’en prenant à l’alcool et au tabac (voir 8 juin 2020).
La bouteille de raki de 70 cl vaut aujourd’hui 249 livres turques (16 euros) contre 175 avant. Sur l’année écoulée c’est l’ensemble des prix à la consommation qui a flambé de près de 50 %, érodant le pouvoir d’achat des Turcs malgré des hausses de salaires de 30 à 50 % pour la plupart des salariés du pays.
•• Avec les dernières augmentations sur l’alcool, de nombreuses boutiques spécialisées, les « tekel », redoutent de devoir fermer.
Ozgur Aybas, patron et fondateur du grossiste Turkey’s Tekel Stores Platform, estime que « l’augmentation des prix a agi comme la gifle d’une petite minorité à une majorité de gens joyeux, celle de la restauration et des laïcs ». « C’est une approche idéologique, une punition par les taxes et une sanction qui veut dire : vivez comme nous », ajoute-t-il.
Seref Binay, qui gère un tekel sur la rive asiatique d’Istanbul, assure que la moitié de ses clients produisent désormais de l’alcool à domicile et « se transforment en apprentis chimistes » (…) « Regardez sur YouTube, vous verrez le nombre de vidéos expliquant comment faire son alcool maison. Mais c’est délicat: confondez méthanol et éthanol et vous perdez la vue ».
•• Lundi, la police d’Istanbul a saisi plus d’un millier de bouteilles d’alcool frelaté lors d’une descente. Montant estimé: un million de livres (65 000 euros). Quatre personnes ont été arrêtées.
Les échoppes tentent de contre-attaquer en faisant preuve de créativité pour stimuler leurs ventes, à coups de promotions via leur compte Instagram ou en faisant venir des groupes de musique sur place. À 20 ans, Batu explique que « boire un verre dans un bar c’est maintenant comme un rêve pour nous. On rogne nos libertés et on ne réagit pas … », lâche ce client d’un tekel.
À Besiktas, Suleyman Gunes, le serveur, est pessimiste : pour lui, les taxes sur l’alcool « finiront d’avoir la peau du secteur ». « Tel que je le sens, les affaires vont fermer les unes après les autres ».