Près de 33 kilos de cigarettes saisis le 5 septembre à Limoges, plus de 1 000 cartouches fin septembre sur l’A20 dans le nord de la Haute-Vienne, etc. (voir 19 et 13 décembre 2024) … le marché des cigarettes de contrebande n’a jamais semblé si important dans le Limousin.
Au grand dam des buralistes qui sont confrontés à une organisation quotidienne des trafics aux portes de leur établissement. Focus dans Le Populaire du Centre.
« Les buralistes sur l’ensemble du territoire engrangent 2,3 milliards de recettes. Les actifs criminels engendrés par le tabac sont estimés à deux milliards » avait souligné Philippe Coy lors de la dernière assemblée générale des buralistes de Haute-Vienne en novembre, « il est temps d’agir non pas sur les prix », mais sur « les moyens de contrôle et les sanctions judiciaires ».
•• Les buralistes sont confrontés quotidiennement à ce trafic. « C’est tous les jours, tous les jours … », souffle un buraliste de Limoges. « Aujourd’hui, j’ai perdu la moitié de ma clientèle, je dis bien la moitié, en dix ans. La valeur du paquet a compensé le volume de clients, mais les gens fument toujours en s’approvisionnant ailleurs. »
Comment un tel trafic peut-il s’installer au nez et à la barbe des buralistes ?
« C’est très bien organisé, très réfléchi avec des bandes très mobiles. Les transports se font très facilement, via les transports en autocar, mais aussi des transports par Relais colis, donc on stocke parfois sans le savoir des cartouches de cigarettes de contrebande …dans nos bureaux de tabac. En Corrèze, on a très peu de vente à la sauvette. Le marché s’organise dans des épiceries de nuit, chez certains barber shop ou dans des cafés associatifs », détaille Frédéric Vergne, président de la fédération des buralistes de Corrèze, vice-président national et buraliste à Ussac (voir 14 décembre).
•• « Ce sont des gens qui se connaissent, qui en un clin d’œil se comprennent, ajoute ce buraliste expérimenté. Cela fonctionne avec des gens désœuvrés, paumés, qui agissent comme des guetteurs. C’est un autre monde. À 8 euros le paquet au lieu de 12 euros, qui ne serait pas tenté ? C’est une petite minorité qui pratique cela, c’est un fruit pourri dans la corbeille, mais cela a un impact sur la société. Le problème est plus profond et symptomatique de ce qui ne va pas en France. »
Le ras-le-bol est tel pour certains professionnels qu’ils reconnaissent « avoir baissé les bras. Et j’avoue que j’ai peur. On gueule, on appelle les Douanes, mais on se méfie aussi, parce que derrière, il y a des représailles », poursuit le buraliste limougeaud. « On aimerait que la peur change de camp » réagit une buraliste en Haute-Vienne, « on les voit faire, on les signale, mais il faut toujours le flagrant délit pour que cela bouge. Beaucoup n’osent pas en parler, mais il n’y a plus un territoire épargné sur le département. »
« Le chiffre, c’est 38 % du marché du tabac qui part de façon illégale. C’est terrible. On s’inquiète de l’évolution de ce marché, parce que demain, un paquet sur deux sera vendu dans la rue et c’est une perte de flux dans nos établissements, de chiffre d’affaires, de passage en caisse, etc. Le climat d’incertitude et d’anxiété est très important pour les professionnels », assure Frédéric Vergne.
•• La Direction régionale des Douanes de Poitiers, compétente sur le Poitou-Charentes et le Limousin, saisit plusieurs centaines de kilos de tabac chaque année. 2024 devrait une année record, selon les Douanes, avec plus de quatre tonnes saisies sur les différents axes comme les autoroutes A20, A10 et la nationale 10.
Ces chiffres démontrent l’ampleur des marchés parallèles du tabac sur tout le territoire, y compris donc le Limousin. « La France, au même titre que le Royaume-Uni et l’Irlande, est ainsi un pays de destination de tabacs de toutes natures », indique Jean-François Merle-Becker, chef de pôle d’orientation des contrôles au sein de la Direction régionale des Douanes et Droits indirects de Poitiers.
Un trafic d’ampleur qui s’inscrit désormais dans un caractère de « polycriminalité » au sein de réseaux internationaux, selon Jean-François Merle-Becker. « Les services douaniers locaux s’attachent donc à intercepter les flux très importants provenant notamment d’usines clandestines européennes qui feront l’objet d’enquêtes judiciaires par des services douaniers ou policiers nationaux. Mais ils traquent également les trafics à portée locale initiés par des particuliers s’approvisionnant principalement en Andorre et au Luxembourg », détaille le douanier.
Si le vecteur routier reste le plus utilisé, d’autres méthodes se développent. Le trafic s’est adapté avec le temps. Sur les réseaux sociaux, un véritable marché s’est développé et certains se font livrer des paquets de cigarettes comme n’importe quel colis. Dans ce contexte, la Douane assure avoir développé un réseau cyber pour traquer les offres de tabac en ligne.