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15 Sep 2015 | Observatoire
 

Jean Gadrey« Nouvel exemple de la façon dont des économistes font la une des médias avec de la gonflette , ici spectaculaire, sur les coûts » juge sévèrement Jean Gadrey, professeur honoraire d’économie à Lille 1, dans Alternatives Economiques  suite à la publication du rapport sur « Le coût social des drogues en France » (voir Lmdt du 11 septembre).

« C’est une étude (financée par « Marisol Touraine, via la Direction générale de la Santé » fait-il remarquer au passage) « sérieuse », « mais pourtant vous auriez tort de la prendre au mot ou au chiffre », prévient l’économiste avant de développer ses contre-arguments.

Avant d’en présenter des extraits, on mettra en exergue sa conclusion : « dans le domaine des coûts de la vie et de la qualité de vie, on peut en réalité aboutir, en s’y prenant bien, à pratiquement n’importe quel chiffre, parce que cela n’a pas le moindre sens et le moindre intérêt, parce que c’est même une injure à l’égard de la vie comme valeur non économique ».

OFDT Rapport Kopp Cout des drogues« Je ne suis absolument pas hostile, ni à certaines évaluations de coûts (sanitaires, sociaux, écologiques …), ni à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, et il y a de quoi, dans cette étude alimenter le débat économique (…) Mais là, c’est trop : l’addiction à l’analyse coûts/bénéfices est une drogue légale qui peut nuire gravement à la santé mentale des citoyens(ne)s. A mon avis, elle devrait même devenir illégale lorsqu’elle franchit certains seuils éthiques (…)

« Car ce qu’ambitionne ce genre d’étude n’est pas une comptabilité classique (et utile) des coûts et bénéfices, mais une comptabilité « en bien-être social », un truc réservé aux économistes et que personne d’autre ne peut piger vraiment (…)

« Car c’est là que s’installe l’imposture économique, cette démarche où tout ce qui a de la valeur (humaine, éthique, esthétique …) doit passer sous les fourches caudines de la mesure en valeurs monétaires. C’est là que l’on trouve ce qui va faire exploser les chiffres et aboutir aux deux fois 120 milliards annuel, dont l’auteur prévient qu’il faut éviter de les additionner, précaution ignorée par les grands médias.

• 1 • « Ce qui va booster les résultats est d’abord et surtout le coût des vies perdues (66 milliards annuels pour l’alcool, 62 pour le tabac), soit dans les deux cas plus de la moitié des 120 milliards du total respectif. Mais c’est aussi en second lieu, le coût de la perte de vie (soit 39,5 milliards pour l’alcool et 31,7 milliards pour le tabac). Sans ces ajouts, le coût social de l’alcool serait seulement de 14,5 milliards annuels et celui du tabac de 26,3 milliards. De très gros chiffres selon moi, de quoi débattre, mais pas de quoi faire un tabac.

• 2 • « Or, pour le coût des vies perdues, j’ai déjà expliqué pourquoi c’était fantaisiste, bourré d’incertitudes, manipulateur, et surtout incompatible avec mes principes éthiques. Dans cette étude, on retient le chiffre de 115 000 euros pour une année de vie perdue, en s’appuyant sur le rapport Quinet, lequel a décidé qu’il fallait multiplier par deux le chiffre retenu antérieurement dans le rapport Boiteux   en passant de 1,5 million d’euros par vie perdue à 3 millions.

• 3 • « Quant au coût de la perte de qualité de vie pour les personnes souffrant de pathologies liées à leurs addictions  c’est assez nouveau, mais ce n’est pas moins fantaisiste (dans la note actuellement disponible on ne trouve pas de précisions). C’est à nouveau la bible Quinet qui est mobilisée, tout comme elle l’est pour un paramètre crucial dans ces calculs : le taux d’actualisation (il permet de passer de la valeur statistique de la vie à celle d’une année de vie), fixé à 4 %, en tenant compte de savants développements qui donnent l’impression que le pifomètre des experts reste le grand outil de choix, en particulier quand les perspectives économiques sont terriblement incertaines (…)

• 4 • Un dernier chiffre pour la route : en 2006, Pierre Kopp avait déjà publié une évaluation des mêmes coûts pour l’année 2000, et il aboutissait à des chiffres TROIS FOIS INFERIEURS. Il s’en explique (…) en mettant avant tout l’accent sur l’amélioration des données, des méthodes et des concepts, et pas sur l’augmentation de la consommation ou sur l’inefficacité des politiques publiques. Mais mon hypothèse est différente : c’est avant tout parce que dans le domaine des coûts de la vie et de la qualité de vie, on peut en réalité aboutir, en s’y prenant bien, à pratiquement N’IMPORTE QUEL CHIFFRE, c’est parce que cela n’a pas le moindre sens et le moindre intérêt, parce que c’est même une injure à l’égard de la vie comme valeur non économique, que les résultats actuels sont à ce point incompatibles avec ceux de 2006 ».