« Les cigarettiers profitent du contexte inflationniste actuel pour augmenter les prix de certains produits du tabac et ainsi augmenter leurs marges bénéficiaires. »
C’est ainsi que débute un communiqué du Comité national contre le Tabagisme (CNCT / voir 7, 9 et 16 novembre) à propos de l’augmentation des prix du tabac ce 1er janvier (voir 12 décembre). Nous le reprenons dans son intégralité.
Ces hausses tarifaires sont la conséquence de la réticence du gouvernement à instaurer une trajectoire fiscale dans le Programme national de lutte contre le tabac 2023-2027. Ces pratiques sont à mettre en parallèle avec le discours habituel des cigarettiers, pointant un lien de causalité entre augmentation des prix et augmentation du commerce illicite.
•• Les nouveaux tarifs des produits du tabac, applicables au 1er janvier 2024, se solderont par une augmentation globale des prix. Cette hausse est due d’une part à l’indexation des prix du tabac sur l’inflation, mesure proposée par le Gouvernement à la fin de l’année 2022, à l’occasion de la Loi de Financement de la Sécurité sociale. Cette disposition vise simplement à faire en sorte qu’en contexte de hausse généralisée des prix, le prix relatif du tabac ne baisse pas, et que celui-ci ne devienne pas plus abordable.
Or, les hausses au 1er janvier seront plus fortes que celles prévues par le simple alignement du tabac à l’inflation. Cela s’explique par le fait que les fabricants, libres de fixer eux-mêmes les prix de leurs produits, ont décidé de profiter de l’inflation pour augmenter leurs tarifs, et ainsi accroître leurs marges bénéficiaires.
•• Cette augmentation additionnelle des prix est différente selon les différents produits du tabac :
• Pour les cigarettes manufacturées, alors que la seule indexation à l’inflation devrait conduire à une hausse du prix de 50 centimes, certaines marques voient leurs prix plus fortement augmenter. Par exemple, le paquet de Marlboro Red (Philip Morris France) va augmenter d’un euro, passant de 11,50 à 12,50 euros. La même stratégie est appliquée pour les marques du fabricant, à l’instar des Chesterfields, L&M, Philip Morris Blue, Philip Morris Gold.
• Pour le tabac à rouler, alors que l’indexation à l’inflation devrait conduire à des augmentations limitées à 70 centimes, les hausses de prix atteindront jusqu’à 1,50 euro pour une blague de 30 grammes. Plusieurs fabricants se sont engagés dans cette stratégie de hausse additionnelle, à l’instar d’Imperial Brands, (Drum), Philip Morris France, (Interval), Poeschl (Pueblo), ou encore British American Tobacco (Lucky Strike).
•• Pourtant, l’industrie du tabac est habituellement extrêmement active et prolixe pour critiquer les hausses de prix sur le tabac. Les fabricants n’hésitent pas à se mobiliser massivement dans la presse pour décrier les politiques fiscales, accusées de pousser les consommateurs vers le marché noir, la contrefaçon, de pénaliser les fumeurs les plus modestes, et de précariser les débitants de tabac.
À la fin de l’année 2022, Jeanne Pollès, alors présidente de Philip Morris France, qualifiait les hausses de prix sur le tabac d’« immense cadeau au profit des revendeurs à la sauvette de tabac, qui pour la plupart vendent également des stupéfiants et qui alimentent les réseaux mafieux internationaux ».
Les politiques tarifaires des fabricants montrent aujourd’hui que ceux-ci n’accordent que peu de crédit à leur propre argumentaire, qui ne sert en réalité qu’à dissuader les pouvoirs publics de mettre en œuvre des politiques de santé publique. Ces arguments, largement diffusés par l’industrie du tabac, infusent pourtant l’ensemble du débat public, et participent à expliquer l’absence de trajectoire fiscale dans le Programme national de lutte contre le tabac (PNLT).
•• À ce titre, c’est précisément l’absence de trajectoire fiscale sur les produits du tabac dans le PNLT qui laisse aujourd’hui les mains libres à l’industrie du tabac pour augmenter ses prix et ses marges. Cette augmentation additionnelle bat par ailleurs en brèche le discours de l’industrie du tabac, qui communique bruyamment sur sa volonté d’organiser elle-même la fin du tabac traditionnel, pour aller vers un « monde sans fumée ». Dans la pratique, les fabricants font tout pour renforcer la profitabilité de la vente de cigarettes et de tabac à rouler, au détriment de la santé publique.
L’augmentation des marges bénéficiaires par les fabricants est par ailleurs problématique à deux niveaux. D’une part, elle implique un renforcement financier d’une industrie dont la puissance et l’influence constituent en soi une menace directe pour la santé publique. D’autre part, elle permettra aux fabricants, dans le cas où une politique fiscale était mise en œuvre, d’en atténuer l’efficacité en rognant sur les marges.
Pour le Professeur Yves Martinet, président du Comité national contre le Tabagisme, « ces augmentations de prix décidées par les fabricants devraient convaincre les pouvoirs publics de prendre le discours de l’industrie pour ce qu’il est, c’est-à-dire une stratégie de désinformation et de parasitage des politiques de santé publique ».