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14 Déc 2023 | Observatoire
 

L’économiste et président de lInstitut Santé (organisme de recherche dédié à la refondation du système de santé) était invité ce 13 décembre à commenter sur franceinfo la hausse des prix au 1er janvier 2024 (voir 12 et 13 décembre). Il a dénoncé notamment une politique de santé publique « à 99 % centrée sur le curatif ».

franceinfo : Le paquet de 20 cigarettes, pour de nombreuses marques, va passer de 11 à 12 euros. Est-ce que c’est de nature à faire renoncer beaucoup de fumeurs ?

Frédéric Bizard : De façon relative oui. Il y a une corrélation entre le prix des cigarettes et la baisse de la consommation, c’est incontestable. Mais corrélation n’est pas causalité. On ne peut pas faire de la hausse des prix, l’alpha et l’oméga d’une politique de lutte contre le tabac. Si vous augmentez de 10 %, en théorie, vous baissez la consommation de 4 %. Mais on voit que ces théories dépendent du contexte. En France, depuis cinq ans, on a augmenté à peu près de 37 %, le prix du paquet de 20 cigarettes est passé de 8 euros à 11 euros. On aurait dû avoir une baisse de 15 %, on a eu une baisse de 5 %. 

franceinfo : Il y a donc une limite à cette politique…

F. B. : Ça a des limites qu’on connaît très bien. Une politique qui est centrée sur l’offre est très insuffisante. Tout ça est une politique assez antisociale. Nécessaire, mais antisociale (la consommation quotidienne de tabac est plus forte parmi le tiers de la population dont les revenus sont les plus bas, 33,6 %, selon Santé publique France).  François Mitterrand disait à juste titre que c’est une taxe sur les pauvres. Ça ne veut pas dire que c’est qu’il ne faut pas le faire, mais il faut le faire avec tact et mesure. On a une politique qui est à 99 % centrée sur le curatif. Un prix élevé des paquets de tabac, c’est du répressif sur les pauvres.

franceinfo : Quel doit être alors le cœur du plan de lutte contre le tabac en France ?

F. B. : Il y a 25 % de fumeurs quotidiens en France. C’est 40 % de plus que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et tous les pays comparables sont en dessous de 20 %. Nous, on a complètement désinvesti sur la santé scolaire et sur la santé au travail, qui sont les deux piliers d’une politique préventive efficace. 

franceinfo : Ce que vous préconisez, c’est que les recettes aillent vers le préventif et notamment en milieu scolaire ?

F. B. : D’abord, il faut casser une idée fausse en France, c’est penser que le tabac rapporte à l’État. Le tabac rapporte à peu près 13,7 milliards d’euros de taxes, mais coûte plus de 100 milliards. Les dépenses de cancer de soins, c’est une vingtaine de milliards d’euros. Donc en fait, on ne fait que nourrir le marché de la cancérologie, mais sans freiner le flux des nouveaux fumeurs, et demain le flux des décès des futurs malades. C’est une politique perdante-perdante. On investit massivement dans le soin, mais on n’investit pas dans la bonne santé.