Professeur d’économie et éditorialiste à ces heures sur le site « Contrepoints », Guy Dartiailh n’aime pas les contradictions de la politique publique (voir Lmdt du 21 mai). Ce jeudi 1er décembre, il décortique la logique « contreproductive » des mesures anti-tabac en vigueur prochainement. Extraits
•• « Pour Christian Eckert, le nouveau prélèvement sur le chiffre d’affaires des distributeurs (voir Lmdt du 29 novembre) ne devrait entraîner qu’une augmentation limitée du prix du paquet, de l’ordre de 10 à 20 centimes (…) Il ajoute faire « le pari que, avec le lancement simultané du paquet neutre, les fabricants peuvent absorber cette taxe ».
« Un pari aussi fou qu’irréalisable alors qu’il est évident que les fournisseurs de tabac, Logista (le distributeur principal en France) et une trentaine d’autres petites entreprises, vont répercuter cette hausse des taxes sur les fabricants de tabac qui vont de leur côté avoir du mal à l’absorber sans augmenter leurs prix. Ainsi, cette nouvelle taxe sur le chiffre d’affaires revient de fait à une hausse de prix dissimulée.
•• « Paquet neutre et hausse de fiscalité : la conséquence de l’addition de ces mesures ne sera pas une baisse de la prévalence tabagique, mais un report massif des consommateurs sur le marché parallèle et notamment vers les pays voisins. Rappelons que la France est entourée de pays vendant un paquet entre 4 et 6 euros, certains pays de l’Union européenne descendant même jusqu’à moins de 2,50 euros.
En 2015, 7,7 milliards de cigarettes provenaient déjà d’achats faits à l’étranger (voir Lmdt du 8 juin). De surcroît, cette nouvelle hausse risque bien de s’avérer contre-productive, tant pour les caisses de l’État (qui prélèvera moins de taxes du fait de la baisse des ventes sur son territoire) que pour celles des buralistes.
•• Comme si cela ne suffisait pas, une hausse des taxes de 15 % sur le tabac à rouler est également en fin de discussion au parlement (…) Là encore, il est difficile d’imaginer que les fabricants puissent complètement absorber cette taxe sans augmenter leurs prix. La hausse tournerait concrètement autour de 1,30 à 1,50 euro le paquet, selon les marques, soit la hausse la plus importante jamais imposée en France.
•• « La structure fiscale sur le tabac fait que plus le prix d’un paquet de tabac à rouler est élevé, plus l’augmentation le sera. Cette décision est donc en contradiction totale avec les recommandations en la matière des organisations internationales, comme l’OMS, la Banque Mondiale, ou encore des ONG comme Smoke Free Partnership. Ces dernières soulignent toutes qu’une augmentation proportionnelle est de nature à favoriser les prix les moins élevés, notamment dans un marché où le paquet neutre est imposé, car le seul repère qui reste est le prix.
« Une hausse de prix aussi sensible a toujours poussé les fumeurs à chercher des alternatives moins chères – en particulier pour le tabac à rouler comme il est généralement le recours des populations aux revenus les plus limités. Étant les plus impactées par cette hausse, elles seront les premières à chercher une autre solution : les fumeurs de cigarettes roulées se rabattront sur les marques les moins chères.
•• « Or les recettes de l’État, mais aussi celles des buralistes sur la vente de tabac à rouler, sont elles-mêmes proportionnelles aux ventes. Autrement dit, si autant de paquets sont vendus à un prix moindre, l’État et les buralistes sont perdants. Là encore, les mesures préconisées par le gouvernement risquent d’avoir un impact opposé à celui attendu.
•• « Lors de l’annonce de ces deux taxes sur Europe 1, Christian Eckert avait pourtant rappelé que les prix du tabac sont tels en France que toute augmentation entraînera irrémédiablement une nouvelle hausse des achats effectués sur le marché parallèle, qui atteint déjà un niveau record. Une contradiction de plus entre les discours faits au grand public et les lois proposées par le Gouvernement ».