Une étude révèle l’importance croissante de la vente de tabac sur les réseaux sociaux. Les buralistes, qui disposent d’un monopole d’État, ne s’interdisent pas de porter plainte contre ces sites, annonce un article du Parisien / Aujourd’hui en France signé Vincent Vérier.
Nous le reproduisons ci-dessous.
Et si les points de ventes de cigarettes sur Internet étaient plus nombreux que ceux dans nos communes ? Une perspective qui inquiète la Confédération nationale des buralistes et ses 23 500 débits de tabac. Une étude commandée par British American Tobacco (BAT), poids lourds de la fabrication de tabac, révèle que le monopole d’État de la vente des cigarettes en France, confiée aux seuls buralistes, est largement contourné sur Internet.
•• « En cinq mois, ce sont près de 10 000 points de vente qui ont été comptabilisés sur les réseaux sociaux, s’agace Vincent Zappia, responsable des affaires publiques chez BAT. Les paquets y sont vendus entre 3 et 5 euros quand ils sont à plus de 10 euros chez les buralistes. Cette étude montre que les réseaux sociaux sont complètement complaisants à l’égard de ces ventes illégales ».
Directement visés, Facebook et Snapchat. L’étude, réalisée par Webdrone, une start-up spécialisée dans la détection de produits contrefaits sur le Net et créée par deux anciens gendarmes, a ciblé ces deux réseaux sociaux. « Parce que c’est sur Facebook et dans une moindre mesure sur Snapchat, deux réseaux ouverts, que l’on constate le plus de points de vente, justifie Didier Douilly, directeur commercial de Webdrone et lui-même ancien gendarme spécialisé en cybercriminalité. Le phénomène est plus marginal sur des réseaux comme Telegram, TikTok ou encore WhatsApp ».
•• Cette étude, non exhaustive, se veut avant tout une photographie d’un phénomène en pleine expansion. « Sans parler de fraude massive, c’est vrai qu’avec la crise sanitaire on assiste pour les cigarettes – comme pour les stupéfiants – à un report d’achat sur Internet », reconnaît Corinne Cléostrate, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude à la direction générale des douanes.
Derrière ces ventes, différents profils. « Il y a l’escroc qui n’a même pas de cigarettes à vendre, l’opportuniste qui écoule quelques cartouches pour arrondir ses fins de mois, et le réseau bien organisé, comme celui pour les stupéfiants, détaille-t-elle. Le travail consiste à lever l’anonymat que permet Internet ». Des enquêtes de fourmis, confiées au service cyberdouanes créé en 2009. « Les trafiquants ont bien compris l’intérêt d’utiliser Internet, poursuit Didier Douilly. Sur certains groupes Facebook, baptisés par exemple On vend de tout dans le 95 ou Les Bonnes Affaires du 78, ils ont accès à 300 000 voire 500 000 abonnés d’un coup. C’est considérable. Certains refusent même de vendre des cartouches à l’unité et n’écoulent que des cartons de cinquante cartouches. »
•• Un marché considérable, mais impossible à quantifier. Une estimation des cigarettiers et des buralistes chiffre traditionnellement à plus de 30 % la vente de tabac hors réseau légal, que ce soit sur Internet ou dans la rue. Un rapport parlementaire de 2021 l’évalue plutôt entre 14 % et 17 %.
Quoi qu’il en soit, ce sont des milliards d’euros de taxes qui échappent aux caisses de l’État. Selon l’étude de BAT, ces annonces sont surtout implantées dans trois régions : l’Île-de-France, l’Occitanie et les Hauts-de-France. Quant à l’origine du tabac, il provient aussi bien de la contrebande – c’est-à-dire acheté dans un pays à la fiscalité moins élevée – que de la contrefaçon. « Quand vous avez une cartouche à moins de 50 euros, c’est forcément de la contrefaçon », prévient Didier Rouilly.
•• À la Confédération nationale des buralistes, cette attaque frontale de leur monopole inquiète : « Le tabac, c’est le moteur de nos commerces, insiste Philippe Coy. Ce qui nous permet de vendre autre chose comme des jeux ou de la presse. En quinze ans, nous avons déjà perdu 10 000 établissements. » Une inquiétude d’autant plus importante que le prix du paquet va augmenter l’année prochaine. « Et à chaque hausse, le nombre d’offres de vente de tabac progresse sur le Net », assure Didier Douilly.
Les buralistes pourraient donc se montrer plus offensifs. « On ne s’interdit pas d’attaquer Facebook ou tout réseau social qui ne respecterait pas le monopole, prévient Philippe Coy. Nous étudions ce qui est possible de faire avec nos avocats. »
•• Mais chez les douanes comme chez Webdrone, on concède que, pour les réseaux sociaux, empêcher totalement la vente de tabac est compliqué : « Les trafiquants utilisent des photos ou différents qualificatifs pour désigner la vente de tabac qui empêchent les algorithmes de supprimer automatiquement toutes les annonces, décrypte Didier Douilly. Par exemple, en détournant le nom des marques comme Malbac pour Marlboro ou Rot’s pour Rothmans. Et puis, il est difficile de supprimer de toutes les annonces un mot comme cartouche. »
Contacté, Snapchat n’a pas répondu. Quant à Meta, la maison-mère de Facebook, un porte-parole indique que « la vente ou la publicité pour des produits du tabac est interdite sur Facebook. Nous utilisons une combinaison de technologies et d’examens des contenus par nos équipes pour détecter et retirer les publications qui ne respectent pas ces règles. » Tout en concédant que « l’application de ces règles n’est pas parfaite ». Photo : Le Parisien