Sur le JDD.fr, le professeur Yves Martinet (président du Centre national contre le Tabagisme / voir 2 novembre) publie une tribune que nous reprenons sur le tabac à chauffer.
« Commercialisé en France depuis quelques années seulement, le tabac chauffé se présente comme des mini-cigarettes, également appelées sticks ou bâtonnets, à insérer dans un dispositif électronique chauffant, permettant de libérer un aérosol.
•• L’industrie du tabac présente ces nouveaux produits comme moins risqués, et comme une alternative à la cigarette traditionnelle. Pourtant, aucune étude indépendante ne permet d’affirmer que le tabac chauffé soit moins dangereux pour le fumeur que la cigarette classique.
Rien ne permet non plus de dire que ce nouveau produit soit une « alternative » à la cigarette : sur dix consommateurs de tabac chauffé, sept continuent de fumer des cigarettes en parallèle, deux étaient auparavant non-fumeurs, et un seul consomme exclusivement ce nouveau produit .
•• Au regard de la nocivité du tabac chauffé, le gouvernement s’était ainsi engagé à créer une catégorie fiscale spécifique et dissuasive pour ce produit récemment introduit sur le marché français.
Dans cette optique, la première version du PLFSS, dans son Article 8, relatif à la fiscalité des produits du tabac, concrétisait cet engagement. Conforme à la demande des ONG de lutte contre le tabagisme, cet article 8, examiné en Commission des Affaires sociales, avait été approuvé par une majorité de députés.
La veille du passage en 49-3, le 20 octobre, le gouvernement a unilatéralement pris le parti d’apporter de profondes modifications à cet article 8. D’abord, la nouvelle catégorie fiscale des « Tabacs à chauffer », a été rebaptisée « Tabacs à chauffer commercialisés en bâtonnets », accordant dans le même temps une réduction de 26 % des accises pour ce produit.
Au regard des volumes de ventes , une telle décision est un cadeau fiscal d’au moins 17 millions d’euros par an pour Philip Morris France, à ce jour le seul acteur commercialisant du tabac chauffé en France, avec sa marque Heets. Ce cadeau fiscal au cigarettier, prélevé sur les recettes de la Sécurité sociale, est d’autant plus injustifié à la lumière des dégâts humains, sanitaires, environnementaux occasionnés par Philip Morris France, comme au regard des multiples condamnations du fabricant par la justice pour ses violations délibérées de la réglementation.
•• Le détricotage ne s’arrête pas là. Là où la première version du PLFSS prévoyait la création d’une seule catégorie fiscale pour le tabac chauffé, la nouvelle version en propose désormais trois. Une telle démultiplication n’a pas de sens : à l’heure actuelle, une seule marque de tabac chauffé est commercialisée en France.
Par ailleurs, la catégorie fiscale mentionnée plus haut, celle des « Tabacs à chauffer commercialisés en bâtonnets », restreint considérablement la définition de ce qu’est le tabac chauffé. Seront donc désormais considérés comme tels les produits « commercialisés sous la forme de bâtonnets d’une longueur qui n’excède pas 45 millimètres ». Les sticks étant actuellement d’une longueur comprise entre 44 et 45 millimètres, il suffira au fabricant de les allonger d’un seul millimètre pour les faire basculer vers une catégorie, encore plus favorable à sa stratégie d’évitement fiscal.
•• Les sticks de tabac chauffés sont donc destinés à basculer vers la catégorie fiscale des « Autres tabacs à chauffer », répondant précisément aux exigences de Philip Morris, puisqu’elle propose une taxation des produits en fonction de leur grammage.
Pour réduire la pression fiscale sur son produit, il suffira à Philip Morris de revoir à la baisse le grammage des sticks. Comme le rappelle l’OMS, « l’expérience montre qu’utiliser le poids du tabac comme base de taxation encourage l’industrie à produire des cigarettes plus légères, mais non moins nocives, pour payer moins de taxes ».
Enfin, en plus d’être favorable aux cigarettiers, et d’apporter de la confusion dans la fiscalité du tabac, le choix de taxer le tabac chauffé au poids offre un argument tout trouvé à l’industrie pour réclamer des abattements fiscaux. En effet, compte tenu du faible poids du tabac chauffé, le gouvernement est contraint de le taxer 160% plus que le tabac à rouler, pour parvenir à 4,64€ de taxes pour un paquet de 20 mini-cigarettes.
•• Répondant à l’impératif catégorique de la santé publique, nous appelons le Gouvernement à revenir sur ces modifications, afin de garantir une fiscalité dissuasive, lisible et spécifique sur le tabac chauffé.
Ces deux modifications inopinées du PLFSS, l’abattement fiscal, mais également l’introduction d’une définition du tabac chauffé aussi facilement contournable par l’industrie, semblent être taillées sur mesure pour Philip Morris. Un tel degré d’influence des cigarettiers dans la politique fiscale du tabac en France est inacceptable, au regard des coûts que cette industrie engendre.
Chaque année, 75 000 personnes meurent en France à cause du tabagisme, alors que des outils éprouvés, coût-efficaces et facilement mobilisables, peuvent être rapidement mis en place. Il est temps que les pouvoirs publics et le gouvernement prennent leurs responsabilités en matière de lutte contre le tabagisme, conformément aux vœux formulés par Emmanuel Macron lui-même de parvenir à une première génération sans tabac à l’aube de la prochaine décennie. »