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7 Août 2022 | Trafic
 

Dans sa série de l’été sur les lieux chargés d’histoire, La Presse de La Manche fait une halte à La Hague (presqu’île du Cotentin) territoire propice à la contrebande avec les anglo-normandes avec sa côte escarpée et ses grottes. Extraits …

La proximité du Cotentin avec les îles anglo-normandes a généré de nombreux échanges économiques, illégaux pour certains. Au XVIIe siècle déjà, on pratiquait la contrebande pour échapper aux taxes concernant les textiles fabriqués outre-Manche. Au XIXe siècle, c’est plutôt le tabac qui faisait l’objet de convoitises …

•• Des passionnés d’histoire ont consacré plusieurs années à la recherche de témoins de cette activité. Gérard Vilgrain et Gérard Fosse ont ainsi parcouru les sentiers du territoire, à la recherche de caches à tabac, présentes dans les murs de certaines habitations, cheminées, fours à pain ou bâtiments du territoire.

Les deux hommes ont référencé plusieurs dizaines de caches, de différentes tailles, plus ou moins visibles depuis la rue. Ils ont dressé un inventaire, témoignant d’une activité de contrebande. « On en distingue en particulier deux sortes : les petites, qui permettaient de conserver le tabac à usage domestique, étaient aménagées dans un mur avec un pot de terre qui contenait le tabac », détaillent Gérard Vilgrain et sa femme Jeanine, elle aussi passionnée d’histoire. « Les plus grandes, à l’architecture soignée, pouvaient contenir des quantités beaucoup plus importantes. Elles sont situées souvent loin des villages. »

•• Gérard Vilgrain a pu retrouver un témoin de cette activité de contrebande sur le territoire : un cahier, tenu entre 1869 et 1872, par les frères Grout, agriculteurs.

« Ce cahier renseigne les dates précises des passages, les quantités de tabac introduites dans La Hague, les noms des revendeurs et consommateurs … C’est vraiment un document très rare que nous avons pu consulter. »

•• Les navigateurs aguerris, qui devaient traverser le Raz Blanchard, étaient surveillés de près par les douaniers. Les passionnés d’histoire ont pu évaluer l’importance de cette activité en référençant la surveillance le long des côtes. Elle était importante. « Car la douane, bien que systématiquement ridiculisée dans les histoires qu’on raconte, a fini par avoir raison de la fraude », indique Gérard Vilgrain.

« La douane était très présente dans la Hague : presque chaque commune, parfois même un hameau, avait sa brigade à pied, composée de sept personnes. Omonville-la-Rogue et Auderville, localités portuaires, avaient de plus chacune une brigade en mer qui armait un bateau, appelé patache. » Sur le sentier des douaniers, ou à proximité, on peut aussi repérer des gabions, ces petites protections dans lesquelles s’abritaient les douaniers.

•• Les recherches du couple les ont conduits jusqu’à l’île d’Aurigny, à la rencontre de témoins de ce passé commercial illicite. « On a retrouvé le neveu de Monsieur Jean, identifié par les douaniers comme faisant de la contrebande. Il avait été prévenu par des amis qu’à son retour, il se ferait arrêter. Il est donc resté sur l’île, où il a acheté plusieurs commerces. »

Le Haguais a commencé à se renseigner sur l’itinéraire des produits issus de la contrebande, « qui devaient circuler au-delà du territoire ».

•• Une question demeure également sur l’utilisation des grottes marines de Jobourg. Ont-elles servi de cache, elles aussi ? « Celles qui sont en pied de falaise sont envahies par la mer à marée haute, ce qui limite et rend difficile leur utilisation », ajoute Gérard Vilgrain. « La pratique de l’immersion des ballots de tabac en mer a été utilisée, nous a-t-on dit, uniquement en cas de grave difficulté pour débarquer la marchandise. » Leur utilisation de façon occasionnelle n’est donc pas à exclure.

Si La Hague s’illustre comme un bon exemple, il n’est pas le seul dans le département : « il y avait aussi une activité à Barneville-Carteret et à Fermanville. »

Les amendes de plus en plus lourdes et les peines de prison encourues vont finalement refroidir les contrebandiers …dont l’activité cessera à la fin du XIXe siècle.