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30 Août 2024 | Vapotage
 

Dans un dossier consacré aux « résurrections industrielles », Les Échos passent en revue les stratégies de ces marques qui ont tenté avec plus ou moins de succès de se relever face à une onde de choc.

Après Servier et le Mediator, Findus et la viande de cheval, EDF et la France dans le noir, Volkswagen et le Dieselgate, zoom sur Juul « héros puis paria de le-cigarette ». Une enquête signée Véronique Le Billon. Nous la reprenons.

•• Cela aura été une décennie de montagnes russes. Au mitan des années 2010, après des années d’efforts, de difficultés et de pistes inabouties, deux anciens étudiants en design de Stanford, James Monsees et Adam Bowen, dessinent Juul, une cigarette électronique discrète et élégante. 

En trois petites années, les deux designers californiens ont réussi à faire de leur produit phare un simple verbe : « juuler », plutôt que fumer ou vapoter. Avec son look de clé USB, ses parfums menthe ou mangue et son marketing ciblé sur la jeunesse branchée et fêtarde, Juul s’est hissé au sommet des ventes de cigarettes électroniques aux États-Unis (voir 18 juillet 2018).

Fin 2018, la maison mère de Philip Morris et Marlboro, Altria, achète 35 % de Juul Labs pour 12,8 milliards de dollars. Produit génial ou duperie ? Conçue pour aider les fumeurs à réduire leur dépendance aux produits les plus nocifs du tabac, Juul et ses concurrents ont créé en parallèle une nouvelle génération de consommateurs de nicotine. En 2019, plus d’un lycéen sur quatre (27,5 %) déclarait en utiliser, selon les statistiques fédérales.

•• 2019, la fronde éclate

De tendance, Juul devient rapidement le paria de l’e-cigarette. Les parents dénoncent l’emprise de la marque sur leurs enfants, les proviseurs d’école cherchent des stratégies pour contrer le phénomène.

Première dame jusque-là discrète à la Maison-Blanche mais aussi mère d’un adolescent, Melania Trump monte au créneau pour dénoncer le danger des vapoteuses chez les jeunes. Pas question d’effacer en quelques mois des années de lutte antitabac … Pendant l’été 2019, une série de maladies pulmonaires et de décès de vapoteurs a aussi affolé les utilisateurs et mobilise enfin les autorités de régulation. La Food and Drug Administration (FDA) promet d’étudier le rapport coûts-bénéfices du produit.

En 2022, la FDA interdit à Juul de commercialiser ses produits aux États-Unis, et l’entreprise négocie un accord à près de 440 millions de dollars avec 34 États américains qui la poursuivent. En trois ans, Altria a vu la valeur de sa participation s’évaporer presque complètement, divisée par huit à seulement 1,7 milliard de dollars.

Une leçon pour le modèle américain, qui laisse souvent un secteur se développer avant, éventuellement, de le réguler. Entre les pertes et les indemnités versées, la facture est salée pour une entreprise distancée sur un marché qu’elle a dominé.

•• Appel en justice

L’épilogue de l’épopée Juul, qui a déjà fait l’objet d’une série sur Netflix, n’est toutefois pas encore complètement écrit.

Juul a d’abord obtenu de rester sur les rayons des échoppes américaines, le temps d’un appel en justice. Au bord de la faillite, l’entreprise s’est restructurée et a été rattrapée par la manche par deux administrateurs historiques et investisseurs influents de l’entreprise, Nick Pritzker et Riaz Valani.

Et début juin, la FDA a redonné de l’espoir à Juul, en abrogeant son ordonnance de « refus de commercialisation » émise un an plus tôt. « Cette mesure résulte en partie de la nouvelle jurisprudence et de l’examen par la FDA des informations fournies par le demandeur », a justifié l’agence fédérale.

Cela ne signifie pas encore une autorisation en bonne et due forme pour les cigarettes électroniques de Juul, mais l’entreprise peut continuer à défendre son dossier. Et elle a présenté une nouvelle génération de produits (voir 23 novembre et 20 décembre 2023).

•• Altria mise sur Njoy

De son côté, Altria a soldé l’échec de sa participation, en l’échangeant contre des droits de propriété intellectuelle dès le printemps 2023, mais le groupe ne s’annonce pas vaincu sur le marché du vapotage. Le géant du tabac a acheté l’américain Njoy l’an dernier, pour 2,75 milliards de dollars. Et il a fait les choses dans l’ordre, en soumettant une demande d’autorisation à la FDA.

En juin, l’agence fédérale a d’ailleurs autorisé le marketing des versions mentholées de Njoy.  « Nous sommes une agence axée sur les données et nous continuerons à suivre la science afin d’éclairer des demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits du tabac », a expliqué Matthew Farrelly, chargé du dossier au sein de la FDA.

« Sur la base de notre examen scientifique rigoureux, dans ce cas, la preuve des avantages pour les fumeurs adultes d’un passage à un produit moins nocif était suffisante pour l’emporter sur les risques encourus par les jeunes », a estimé l’agence. Le patron d’Altria, Billy Gifford, a annoncé sa volonté de voir ses produits Njoy distribués dans plus de 100 000 points de vente d’ici à la fin de l’année.