Dans une longue interview à Ouest France de ce 4 mai, Stéphane Pallez, PDJ de la Française des Jeux (voir 5 mai) a d’une part levé le voile sur les jeux dédiés au JO de Paris 2024 (voir ci-dessous). Elle a également longuement détaillé ses ambitions pour le groupe : gestion des risques d’addiction, contrôle des joueurs, diversification internationale, lancement de services bancaires. Extraits …
•• Ouest France : Vous venez d’être reconduite (voir 27 avril) pour un troisième mandat à la tête de FDJ. Quelles sont vos priorités ?
Stéphane Pallez : Je me réjouis de pouvoir continuer la transformation de l’entreprise, en investissant à la fois dans le numérique et dans le réseau physique. Mon objectif est que FDJ offre aux Français des jeux variés et divertissants, dans un cadre réglementé et responsable. Et je souhaite aussi poursuivre la diversification de nos activités, notamment à l’étranger.
•• Ouest France : 2019 avait été l’année de la privatisation, avec 400 000 actionnaires aujourd’hui. En 2024, votre grand projet est international …
Stéphane Pallez : Nous avons lancé une OPA sur Kindred, un très grand acteur européen des jeux en ligne coté à Stockholm (voir 22 janvier). Il est présent sur sept des dix premiers marchés européens, avec des marques telles qu’Unibet, et compte ainsi 1,6 million de clients. C’est une offre amicale à 2,6 milliards d’euros, recommandée par le conseil d’administration de Kindred et approuvée par les autorités de marché suédoises.
Nous attendons la décision de l’Autorité de la Concurrence En France. Je suis très confiante dans sa réalisation d’ici à fin novembre. Kindred est aujourd’hui un acteur qui opère sur des marchés régulés à hauteur de 84 % de son chiffre d’affaires. Une fois le rachat, le Groupe combiné n’opérera que sur des marchés régulés.
•• Ouest France : Qu’est-ce que ça changerait pour FDJ ?
Stéphane Pallez : C’est une opération majeure. Nous avons pour ambition de devenir un champion européen des jeux d’argent et de hasard, beaucoup plus diversifié. Une nouvelle FDJ va naître. L’international représentera 20 % de notre produit brut des jeux (PBJ, montant des mises moins les rétributions versées aux joueurs) contre 6 % aujourd’hui, et l’activité en ligne 30 %.
•• Ouest France : Déjà en 2023, vous avez acquis la loterie irlandaise …
Stéphane Pallez : Pour la première fois, nous exploitons une loterie en monopole dans un pays européen. La loterie irlandaise a beaucoup de caractéristiques communes avec FDJ en termes de jeux, de canaux de diffusion et de redistribution. Mais dans le modèle anglo-saxon, les loteries peuvent communiquer directement sur les bonnes causes qu’elles financent.
•• Ouest France : Comment sont redistribuées les sommes encaissées ?
Stéphane Pallez : Au global, 68 % des mises sont redistribuées aux joueurs. Évidemment, tout le monde ne gagne pas et tous les gagnants ne remportent pas un gros lot ; mais en 2023, près de 200 clients de FDJ ont remporté plus d’un million d’euros.
Ensuite, les prélèvements publics sur les jeux sont de l’ordre de 20 %, soit 4,2 milliards d’euros. Le reste, c’est notre chiffre d’affaires sur lequel nous payons des charges et des impôts, et notamment grâce auquel nous rémunérons nos 29 000 commerçants partenaires (près d’un milliard d’euros en 2023). L’an passé, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 2,62 milliards d’euros et un bénéfice net de 425 millions d’euros.
•• Ouest France : Selon l’Observatoire français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT), 1,4 million de personnes étaient identifiées comme ayant un problème avec le jeu en 2019. Ce chiffre a été multiplié par deux entre 2010 et 2019. Êtes-vous au rendez-vous ?
Stéphane Pallez : Concernant la loterie (74 % de notre chiffre d’affaires total), les chiffres sont stables et n’ont pas augmenté d’après l’étude de l’OFDT. 95 % de nos joueurs ont une pratique tout à fait récréative, ce qui ne nous empêche pas d’être conscients et mobilisés sur la question du jeu excessif.
FDJ est reconnu comme l’un des acteurs les plus engagés sur le contrôle des risques. Tous nos jeux sont autorisés par le régulateur, sur la base d’une évaluation des risques faite avec des experts. Et nous avons choisi de nous imposer de maintenir sous les 2 % la part du PBJ générée par des joueurs de loterie en ligne à risque élevé. Nous avons des outils qui permettent d’évaluer les risques. Nous demandons à chacun de se fixer un plafond et lorsque le joueur s’en approche, nous lui envoyons des messages. Nous appelons également les joueurs en ligne les plus à risque. Et nous pouvons limiter leur pratique si nous la jugeons au-delà de l’acceptable.
•• Ouest France : Combien de personnes avez-vous appelées en 2023 ?
Stéphane Pallez : Près de 2 300 appels aux joueurs dont les pratiques sont les plus à risque ont été passés. Lors de ces appels, nous leur rappelons les outils à disposition pour maîtriser leur pratique de jeu et leur proposons de les mettre en relation avec des structures d’accompagnement.
•• Ouest France : Quels sont les jeux les plus à risque ?
Stéphane Pallez : La loterie est beaucoup moins risquée que le pari sportif en ligne en termes d’addiction. Sur la loterie, nous estimons qu’il y a environ 5 % de joueurs à risque, dont 1 % de joueurs dits excessifs. L’étude de l’OFDT a montré que la prévalence de l’addiction avait augmenté sur le marché en ligne et que les autres segments de jeu (paris, poker, casino) induisaient davantage de risques que la loterie.
•• Ouest France : Est-ce plus facile de surveiller le jeu en ligne ou le jeu en physique ?
Stéphane Pallez : Ce sont deux univers différents sur lesquels nous devons être très vigilants. Le risque du numérique, c’est qu’on peut jouer seul derrière son écran, avec la crainte d’une forme d’emballement. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, nos clients dépensent moins en ligne que nos joueurs en point de vente. Mais sur le digital, on a une meilleure visibilité des pratiques des joueurs. C’est plus facile de dialoguer et d’intervenir.
•• Ouest France : Et pour le jeu physique ?
Stéphane Pallez : La pratique de la loterie est plus conviviale. Souvent, on vient dans son point de vente pour acheter autre chose ou prendre un café. C’est moins risqué car on n’est pas seul, et peu de personnes stationnent longtemps. Mais nous sensibilisons et nous formons les détaillants pour orienter leurs clients, si besoin, vers nos dispositifs d’accompagnement.
•• Ouest France : Selon une étude de l’OFDT, 18,9 % des jeunes de 17 ans ont dit avoir joué à un jeu de grattage en 2022. Que faites-vous pour empêcher les mineurs d’en acheter ?
Stéphane Pallez : La loi interdit le jeu aux moins de 18 ans. Nous formons, contrôlons et sanctionnons nos commerçants partenaires pour qu’ils fassent respecter la loi. Nous faisons des visites mystères avec des jeunes mineurs. Heureusement, la majorité des détaillants respectent la loi mais, en 2023, nous avons prononcé une centaine de suspensions, de quelques jours à plusieurs semaines. Cela peut aller jusqu’au retrait d’agrément mais il n’y en a pas eu l’an passé.
•• Ouest France : Le jeu pouvant générer de l’addiction, pourquoi autoriser la publicité télévisée, pourtant interdite pour les cigarettes ou l’alcool ?
Stéphane Pallez : La régulation du secteur des jeux d’argent est destinée à proposer une offre attractive de jeu légal dans un circuit contrôlé pour lutter contre les risques. La publicité sert à faire connaître cette offre responsable et régulée.
L’expérience historique prouve que, quand il y a prohibition ou quand l’offre de jeu légale n’est pas connue, les joueurs vont sur des circuits illégaux, bien plus risqués. Et totalement défiscalisés. Notre régulateur le reconnaît : la publicité bien maîtrisée fait partie d’un modèle de jeu responsable ; elle sert également à prévenir des risques.
•• Ouest France : Faites-vous trop de publicité ?
Stéphane Pallez : Notre programme annuel de publicité est contrôlé par le régulateur. Par ailleurs, depuis 2019, nous sommes le seul acteur à consacrer 10 % de notre budget publicitaire à des spots sur le jeu responsable. Par exemple, pour l’Euro de football à venir, nous diffuserons une campagne de sensibilisation rappelant pourquoi le jeu est interdit aux mineurs.
•• Ouest France : Sur l’hippisme, vous avez racheté ZEturf. Jusqu’où irez-vous dans la concurrence avec le PMU ?
Stéphane Pallez : Le PMU détient le monopole sur les paris hippiques dans les points de vente et 80 % du marché en ligne. Avec ZEturf, nous avons racheté le seul vrai challenger en ligne pour offrir à nos joueurs l’ensemble des segments de jeux en ligne en concurrence autorisés sur le marché ; nous proposons aussi le poker sur ParionsSport en ligne. C’est une condition pour être compétitif.
•• Ouest France : Votre diversification passe aussi par le service Nirio ? Qu’est-ce que c’est ?
Stéphane Pallez : Cela répond à un véritable besoin de proximité. En partenariat avec la Confédération des buralistes, nous avons déployé en 2020 un service qui permet de payer ses impôts de moins de 300 euros, ses factures de service public ou des amendes. Nous avons enregistré plus 7 millions de transactions. Aujourd’hui, Nirio permet aussi de payer d’autres factures du quotidien comme les loyers auprès de bailleurs sociaux (près d’une quinzaine) et bientôt des péages autoroutiers à flux libre (dans plus de 10 000 points de vente / voir 26 avril et 2 mai).
•• Ouest France : Et vous avez lancé lundi Nirio Premio, une offre bancaire …
Stéphane Pallez : Nirio Premio, lancé avec Xpollens, permet de créer en dix minutes un compte bancaire avec une carte Visa pour payer des achats, sans autorisation de découvert, accéder à des services bancaires et à des outils de contrôle de son budget. Le compte pourra être alimenté en espèces dans les points de vente agréés Nirio et le retrait d’espèces sera disponible avant la fin d’année.
•• Ouest France : En mars, vous avez déployé Umay, une solution française qui lutte contre le harcèlement de rue, en faisant de vos points de vente des endroits-refuges (voir 14 avril). Des associations de défense des droits des femmes ont accueilli cette annonce avec inquiétude, doutant de la pertinence de ces lieux, voire vous accusant de « féminisme washing » … Que répondez-vous ?
Stéphane Pallez : Je comprends le besoin d’explications. Nous avions déjà expérimenté le dispositif à Nantes et Lille et il avait été concluant, sans effets négatifs.
Il s’agit d’un engagement national fort avant les JO. Il y a un vrai besoin malheureusement, car 80 % des femmes se sont déjà senties en danger dans la rue. Nous, nous offrons un abri partout sur le territoire. Nous choisissons les points de vente sur la base du volontariat et les formons avec Umay. Le dispositif a déjà fait ses preuves lors des expérimentations locales, à Nantes par exemple, où plus de vingt femmes harcelées ont pu trouver refuge, et j’invite les associations qui se posent des questions à venir voir comment cela fonctionne de plus près.