Une fenêtre sur l’actualité quotidienne de tous les événements liés directement ou indirectement au tabac
24 Jan 2023 | Trafic
 

Dans plusieurs affaires, les prévenus ont obtenu une relaxe. Depuis, ladministration des douanes accélère la réécriture de ce texte stratégique, où chaque mot sera pesé. C’est ainsi que démarre un article du Monde (daté du 16 janvier), rédigé par Thomas Saintourens, que nous reprenons sur un problème que nous avons déjà évoqué ici (voir aussi 2, 11 et 31 octobre 2022).

C’est un texte de deux lignes à peine, promulgué par un décret du gouvernement Queuille I, le 8 décembre 1948. L’article 60 du Code des Douanes régit, depuis lors, les fouilles des véhicules et des personnes. « Pour lapplication des dispositions du présent Code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des Douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes », dit-il, in extenso.

•• Ces dernières semaines, la référence à ce succinct article s’est invitée, comme par effraction, dans les plaidoiries des dossiers de « stups » liés à des saisies douanières. Depuis que ce texte, considéré comme la pierre angulaire de laction des agents des Douanes, a été déclaré inconstitutionnel, le 22 septembre 2022, il a plongé les procédures dans un flou juridique inédit.

En misant sur l’obsolescence du cadre légal des fouilles, les défenseurs des trafiquants présumés ont obtenu plusieurs relaxes, voire des annulations pures et simples de saisies.

•• Cet imbroglio national a pour point de départ le péage de Vierzon-Nord, sur l’autoroute A20. C’est là que les agents des Douanes du Cher découvrent, le 10 février 2020, 47 000 euros en liquide dissimulés dans le rembourrage de la portière avant droite d’une Peugeot – des coupures de 20 euros et 50 euros, réparties dans cinq paquets thermosoudés recouverts de cellophane.

Le 18 mars 2022, lors du procès du convoyeur devant le tribunal de Bourges, son avocat décide de jouer son va-tout : il pose une Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC) remettant en cause le bien-fondé de l’article 60 du code des Douanes. L’argumentation de l’avocat berruyer soutient que l’article de 1948, qui laisse une large latitude aux « visites » douanières, n’est plus adapté à l’ordre juridique d’aujourd’hui.

« Ce texte particulièrement lapidaire est attentatoire aux libertés individuelles et totalement détaché des garanties légales de droit commun régissant les contrôles de police ou de gendarmerie », précise l’avocat.Le procès de son client, sur le fond, est remis à plus tard. Mais la QPC est bien transmise au Conseil constitutionnel.

Celui-ci tranche, dans une décision publiée le 22 septembre 2022. L’article 60, déclaré « inconstitutionnel », est abrogé sur-le-champ. Le commentaire justifie qu’en « en ne précisant pas suffisamment le cadre applicable à la conduite de ces opérations (…) le législateur na pas assuré une conciliation équilibrée entre, dune part, la recherche des auteurs dinfraction et, dautre part, la liberté daller et venir et le droit au respect de la vie privée ».

•• Un délai jusquau 1er septembre 2023 est octroyé au législateur pour publier une nouvelle loi mettant au goût du jour le texte incriminé. D’ici là est étendue la validité de l’article 60. Mais cette précaution n’a pas empêché l’argument de l’inconstitutionnalité d’être répété lors des audiences. Une sorte de parade de circonstance, partagée entre les robes noires des bancs de la défense.

« Fin septembre, nous étions sous leffet de la sidération, explique Manuela Dona, secrétaire générale de la CGT-Douanes. Désormais, quand on voit les relaxes qui tombent, cest de la colère : larticle 60, cest la base de notre travail, nous lutilisons tous les jours. »

Un haut responsable de l’administration douanière, plus mesuré, souligne que « ces affaires de relaxes demeurent plutôt marginales, mais peuvent être le fait de magistrats zélés ». Ce fut le cas à Lille, d’abord, le 13 octobre 2022, où la remise en cause de l’article 60 a permis la relaxe d’un homme arrêté dans un fourgon convoyant du matériel destiné à un réseau de passeurs du littoral.

À Reims, c’est une saisie de 2,3 kilos de cocaïne qui a été frappée de nullité, dans un jugement rendu le 9 décembre 2022, invoquant la Déclaration des droits de l’homme. L’un des deux passagers, contrôlé alors qu’il dormait dans le véhicule, portait la marchandise scotchée sur le ventre et sur le dos.

D’autres décisions, glanées au fil des audiences, inquiètent les douaniers. C’est le cas de la relaxe, le 3 janvier, d’un routier polonais de 67 ans, contrôlé en mai 2019 sur l’aire d’autoroute de Port-d’Envaux (Charente-Maritime) avec 53 kilos de cannabis dissimulés dans le coffre à palettes et les roues de secours de son camion. Une saisie réalisée sur la foi de renseignements. « On perçoit cette situation comme un désaveu de nos fonctions », estime Anne Azoulay-Fravel, secrétaire nationale du Syndicat national des agents des Douanes CGT, en poste dans cette région. « Les avocats sengouffrent dans cette brèche, qui est béante. Cest comme si on avait signé un blanc-seing à la criminalité, en leur disant : Allez-y ! »

•• Les observateurs s’accordent pourtant généralement sur la désuétude du fameux article 60, convenant de la nécessité d’un toilettage. Lancée dans un compte à rebours jusqu’à septembre, l’administration des Douanes a déjà programmé plusieurs réunions pour accélérer la réécriture de ce texte stratégique, où chaque mot sera pesé.

Ce sprint législatif est déjà entaché d’un faux départ. Le ministère des Comptes publics entendait procéder par ordonnance, pour gagner du temps. Mais cette disposition, intégrée à la Loi de Finances, a été retoquée par le Conseil constitutionnel, qui l’a qualifiée de « cavalier législatif ». Le chemin s’annonce donc long et laborieux pour définir, dans les temps, un cadre légal permettant aux Douaniers de garder leurs prérogatives dans le respect des libertés individuelles.

En attendant, l’affaire de la portière garnie de cash du péage de Vierzon est repassée devant les juges du tribunal de Bourges, mercredi 11 janvier. Dans sa plaidoirie, l’avocat s’est appuyé sur la confusion juridique créée par lui-même quelques mois plus tôt. Leffet na pas fonctionné comme attendu : le parquet a requis 15 000 euros damende contre son client et la confiscation des scellés. Photo : Le Monde / AFP