Nous reprenons une tribune tout récemment parue dans L’Opinion, signée Bruno Alomar (ancien haut fonctionnaire à la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne).
Depuis quelques mois en France, il est question d’interdire les sachets de nicotine.
•• Pas les sachets de tabac, que les Suédois appellent snus, et qui avaient suscité un combat homérique entre Stockholm et Bruxelles il y a vingt ans, mais de nouveaux sachets – sans tabac cette fois offrant une alternative aux produits à combustion – dont l’interdiction constituerait l’ultime avatar d’une politique menée sous tous les gouvernements visant à bannir la nicotine.
Parmi les faits d’armes de cette longue croisade figure la hausse continue du prix des cigarettes et le maximalisme des autorités françaises en matière de transcription du droit européen.
Après un premier avis du Conseil d’État défavorable à l’interdiction de la nicotine à usage oral, le Gouvernement a choisi de mettre le sujet dans les mains de la Commission européenne pour validation (voir 6 mai et 17 mars). La belle affaire dirait-on. Car la cause est entendue : tout ce qui touche de près ou de loin au tabac sent le soufre. Gare à ceux qui penseraient autrement ! Soit. Sauf que la France n’est pas une île.Et si l’on veut bien sortir d’une vision hexagonale et faire droit à l’impératif catégorique européen auquel nos dirigeants nous convoquent, le sujet pose quelques questions.
•• Perturbation
D’abord, l’Union européenne (UE) qui est construite autour d’un marché commun au centre duquel la France se trouve. Interdire un produit, c’est aussi créer une perturbation dans le marché européen.
C’est pour cette raison que la France, comme il est d’usage, a saisi la Commission européenne, le 24 février 2025, du décret par lequel elle souhaite interdire ces nouveaux sachets sans tabac à base de nicotine : la Commission a trois mois pour statuer.
Sans préjuger de son avis, ceux qui connaissent l’UE se souviendront avec malice de la jurisprudence de 1979 « Cassis de Dijon », étape essentielle dans la construction du marché européen. En fait de tabac, il s’agissait à l’époque de considérer que si certains Européens pouvaient consommer du cassis de Dijon, le degré d’alcoolémie – de nocivité – pourrait être supporté par tous les Européens.
Ensuite, la question de l’Europe de la Santé, en l’état embryonnaire. À côté des compétences fédérales, des compétences partagées où les Etats sont très présents, les questions relatives à « la protection et l’amélioration de la santé humaine » ont partie des parents pauvres de l’UE, rangées parmi les compétences d’appui (article 6 TFUE).
C’est cette faiblesse que la crise Covid a mise en lumière. Beaucoup veulent y remédier. Or, au cas d’espèce, les Etats européens qui autorisent ce que la France pense interdire, ne sont pas démunis en matière d’analyse des risques sanitaires.
Et sauf à établir des différences génétiques, l’on comprend mal, alors que l’autorisation est la règle presque partout – 17 pays membres de l’Union européenne l’ont déjà homologué – qu’un produit soit considéré comme toxique au point de soutenir l’interdiction dans un seul pays. L’Europe « unie dans la diversité », mais jusqu’où quand il s’agit de science ?
•• Mesure
Enfin, si l’on prend du recul, en ce domaine comme dans beaucoup d’autres, n’est-il pas temps que la France, comme l’UE, avec ses spécificités, pour éviter les ajustements brutaux que la révolution ultra conservatrice déploie outre-Atlantique, fasse preuve d’un peu plus de mesure et d’un peu moins d’idéologie ?
En matière de défense, la remontée en puissance de la production de matériels militaires est freinée par des normes inspirées par des objectifs louables En matière d’industrie, domaine où la France s’est particulièrement affaiblie, que dire des dégâts causés par une vision hexagonale maximaliste de la protection de l’environnement ?
Là encore, la France, souvent, aura été beaucoup plus que le Green Deal dont plus personne de sérieux ne conteste les excès. L’on pourrait continuer. C’est dire, en définitive, quelles questions de principe se posent quand une mesure nationale est replacée dans une mesure européenne. Au cas d’espèce, dans la zone grise où se situent naturellement les domaines où les politiques publiques nationales et européennes s’entremêlent, il faut faire des choix, et ne pas vouloir tout et son contraire.




