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15 Nov 2024 | Profession
 

Quatre médecins, quatre personnalités anti-tabac soulignent, dans une tribune du Nouvel Obs, que laugmentation des taxes sur les cigarettes permettrait daugmenter les recettes de l’État, de diminuer la consommation de tabac et donc son coût pour la collectivité. Tout en attaquant durement le ministre des Comptes publics et les buralistes.

Les signataires : François Bourdillon (médecin de santé publique, ancien Directeur général de Santé publique France) ; Karine Gallopel-Morvan (professeure des universités, École des Hautes Études en Santé publique, Rennes) ; Loïc Josseran (professeur de santé publique, UFR Simone-Veil Santé, université de Versailles St Quentin/GHU Paris Saclay APHP, président d’Alliance contre le Tabac / voir 2 novembre ) ; Olivier Milleron (cardiologue Hospitalier, hôpital Bichat, Paris).

Le 17 octobre, Laurent Saint-Martin, ministre du Budget et des Comptes publics rendait compte sur le réseau social X de sa participation au congrès de la Confédération  des buralistes et, affirmait que « les buralistes sont lun des premiers maillons du service public sur le terrain » (voir 18 octobre).

Cette déclaration du ministre est problématique car elle met en exergue non seulement sa méconnaissance de la notion de service public, de la santé publique mais aussi de l’équilibre des comptes publics. 

•• Commençons par le service public qui regroupe les agents de l’État ou des collectivités locales qui agissent pour lintérêt général au service du public et des habitants au sein de structures publiques à but non lucratif. Ils ont des missions quils remplissent sans intéressement financier, sans but lucratif du mieux quils peuvent avec les moyens qui leur sont affectés. 

Les buralistes, eux, vendent du tabac sous différentes formes dont ils savent que sa consommation tue environ 75 000 personnes par an en France. De plus, des testings « clients mystères » ont montré que 2/3 des buralistes vendent, en toute illégalité, des cigarettes aux mineurs qui sont des cibles privilégiées de lindustrie du tabac.

Rien ici qui ne ressemble à lesprit du service public même si les buralistes reçoivent chaque année des aides publiques (180 millions deuros par an) pour laide à la transformation, la sécurisation des débits, laide à la reprise dactivité et la santé publique. 

•• Concernant la santé publique, le ministre ne peut pas ne pas savoir que le tabac est le premier déterminant de santé et quil existe un plan national de lutte contre le tabac qui vise à réduire sa consommation pour arriver en 2032 à une génération sans tabac. Lobjectif est de parvenir à un taux de fumeurs inférieur à 5 % à partir de la génération des jeunes ayant 18 ans en 2032, cest-à-dire pour la tranche d’âge née en 2014. Il ne peut pas non plus ignorer que pour les professionnels de santé publique et les associations de lutte contre le tabac, les buralistes sont les relais des cigarettiers pour freiner les politiques de santé publique. 

Les agents du service public hospitalier, eux, soccupent de la prise en charge des patients malades du tabac : au quotidien, des patients atteints de cancers, et à toute heure du jour et de la nuit, en semaine, le week-end, les jours fériés du traitement en urgence des patients qui font un infarctus ou un AVC et dont le pronostic dépend de la rapidité et de la qualité de la prise en charge. 

La comparaison entre les buralistes et les agents du service public est dautant plus douloureuse lorsquon compare l’évolution respective de leurs revenus : les premiers ont vu leurs revenus issus de la vente du tabac tripler entre 2007 et 2023 pour atteindre 90 000 euros par an (7 500 euros par mois) par point de vente en 2023 ce qui les place dans le top 5 des commerçants les mieux payés au même niveau que les ambulanciers et devant les hôteliers-restaurateurs.

Entre 2012 et 2022, le salaire mensuel net moyen dans la fonction publique hospitalière est passé de 2 550 à 2 750 euros (soit 3 3000 euros/an). Et, avec 6 224 euros par mois en moyenne, les médecins de lhôpital public gagnent donc moins que les buralistes. 

•• Mais le plus perturbant dans les déclarations du ministre est labsence de stratégie vis-à-vis de la fiscalité du tabac pour améliorer les comptes publics dont il a la charge. La période est pourtant à la recherche de ressources pour lÉtat et la Sécurité sociale.

 Or, le commerce et la consommation du tabac font supporter un coût très important à nos comptes sociaux et à la collectivité en général : les taxes sur la vente du tabac ne rapportent que la moitié de ce que nous coûtent les soins des pathologies secondaires liées à la consommation de tabac ce qui représente un déficit pour la Sécurité sociale denviron 13 milliards deuros chaque année. 

De plus, le coût social du tabac, qui prend en compte, en plus du coût des soins, le montant des richesses non produites du fait des pathologies des fumeurs, est estimé à plus de 156 milliards deuros par an sans même considérer les terribles conséquences environnementales du tabac.

Le fardeau financier du tabac est donc faramineux si on le compare au budget de lassurance -maladie qui est denviron 260 milliards deuros. 

•• Faire baisser la consommation de tabac en utilisant notamment la taxation pour en augmenter le prix permettrait daugmenter non seulement les revenus de la Sécurité sociale mais aussi de réduire à terme ses dépenses : les expériences, en France comme à l’étranger, montrent, dune part, quaugmenter rapidement et fortement la fiscalité du tabac pour augmenter son prix de vente permet de faire baisser rapidement et durablement la consommation et, dautre part, que larrêt de la consommation de tabac a un effet positif rapide sur le risque de survenue dun infarctus ou daccident vasculaire cérébral et à moyen terme sur les autres pathologies. 

Il faut donc que le ministre du Budget et des Comptes publics propose dans le cadre du Projet  de Loi de Financement  de la Sécurité sociale (PLFSS) des mesures fiscales sur le tabac qui permettront la mise en œuvre du plan national de lutte contre le tabac en suivant les orientations retenues conjointement par les ministres de la Santé et de l’Économie du gouvernement précédent.

Ceci implique de proposer une politique en faveur de lintérêt général et dimposer une transparence complète sur les relations entre les représentants des buralistes et de lindustrie du tabac et les décideurs publics. 

Alors que débute le Mois sans Tabac soutenu par le Gouvernement, qui soutient par ailleurs une taxe sur les sodas, il serait incompréhensible que la fiscalité sur le tabac ne soit pas utilisée pour améliorer rapidement les comptes de la Sécurité sociale et la santé des habitants de ce pays.