Le Figaro.fr a mis en ligne, le 25 avril, une longue contribution de Jean Blaquière qui revient sur le sujet du marché parallèle du tabac et le protocole de l’OMS sur la traçabilité des cigarettes. Nous le reproduisons ci-dessous.
« Des élus dénoncent le coût du commerce parallèle, alimenté à 98 % par le tabac sorti des usines des cigarettiers. Selon eux, en appliquant à la lettre le protocole de l’OMS sur la traçabilité des cigarettes, la France pourrait recouvrer cette perte fiscale annuelle, estimée à 3 milliards d’euros.
•• « À l’horizon 2020, le paquet de cigarettes coûtera 10 euros. De quoi faire trembler les fumeurs, les buralistes, mais pas spécialement les cigarettiers … C’est peu ou prou ce qu’affirment certains élus et associations ces dernières années. Comment comprendre ce paradoxe ? Depuis le début des années 2010, les pouvoirs publics ont renforcé les politiques antitabac, notamment à travers la hausse de la fiscalité sur les paquets de cigarettes, et donc des prix. Les résultats sont visibles, avec 1,6 million de fumeurs en moins depuis 2016 (voir Lmdt du 25 mars 2019), selon les chiffres officiels de Matignon, et une baisse logique des ventes de cigarettes de 9,32% en 2018, soit, 4 milliards d’unités de moins qu’en 2017, selon le fournisseur Logista France, et plus de 10 milliards de moins qu’en 2012. Un coup dur pour les buralistes, forcés de songer à une reconversion partielle dans d’autres activités.
•• « Sauf que cette hausse des prix ne présente pas que des bienfaits : actuellement, 18 milliards de cigarettes sont vendues chaque année dans le commerce parallèle, soit 30 % des cigarettes environ, et cette part a tendance à croître avec l’augmentation des prix. Concrètement, le commerce parallèle comprend la contrebande et la contrefaçon. La contrebande, ce sont les cigarettes vendues depuis les pays frontaliers à la fiscalité avantageuse et les cigarettes « tombées du camion », c’est-à-dire récupérées en sortie d’usine.
« Et le constat est fâcheux pour les cigarettiers: ces cigarettes vendues en contrebande proviennent des quatre majors du tabac (Philip Morris International, British American Tobacco, Japan Tobacco International et Seita-Imperial Tobacco). Résultat : cela représente 3 milliards de recettes fiscales en moins pour l’État chaque année, mais toujours autant d’argent pour les cigarettiers. Le tabac rapporte par an actuellement 15 milliards de recettes fiscales, alors qu’en parallèle son coût social est évalué entre 45 et 130 milliards d’euros. Si seulement 2 % de ce commerce parallèle est issu de la contrefaçon, c’est parce qu’il est à la fois moins cher et moins risqué pénalement pour les réseaux d’acheter des cigarettes dans des pays à fiscalité faible que de les fabriquer dans des usines clandestines.
•• « Pour lutter contre ce commerce parallèle, la première solution serait l’harmonisation fiscale des paquets de cigarettes à l’échelle européenne, qui éviterait le commerce transfrontalier. Le cas notamment d’Andorre avait été soulevé par le sénateur socialiste Xavier Iacovelli (voir Lmdt du 25 févrierBilan de la douane 2018 : « le Gouvernement se trompe sur le diagnostic et les solutions » (Xavier Iacovelli) 2019) en novembre 2018 lors d’une table ronde sur le sujet : « Andorre a besoin de 120 tonnes par an de tabac pour sa consommation domestique. Les cigarettiers en livrent 850 tonnes. Elles sont diffusées par les 8 millions de touristes, en Espagne et surtout en France ». Déjà en 2017, les buralistes étaient montés au créneau contre la hausse des prix et pour cette harmonisation fiscale. Gérald Darmanin leur avait promis d’œuvrer en ce sens.
•• « Des avancées sont cependant à noter : depuis la promulgation de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, les circuits illicites de vente sont plus durement sanctionnés et le montant des sanctions pour fabrication, détention, vente et transport illicites de tabac est doublé. En 2018, 16.171 saisies de tabac et cigarettes de contrebande ont été réalisées par les douanes, soit une hausse de 15,1% par rapport à l’année précédente. Enfin, cette nouvelle loi interdit à un particulier de transporter plus de quatre cartouches de cigarettes au sein de l’UE.
•• « Une autre option existe pour lutter contre la contrebande : la traçabilité des cigarettes. Un protocole de l’OMS est entré en vigueur le 25 septembre 2018 à ce sujet. Ce traité international (voir Lmdt du 24 septembre 2018) prévoit « une traçabilité strictement indépendante des cigarettiers, payée par eux, avec une intervention dans leurs usines, d’où s’organisent les trafics ».
« La traçabilité du tabac comprend quatre étapes :
. un code à apposer sur chaque contenant
. l’apposition et la vérification de la bonne apposition du code sur les produits
. l’enregistrement et la transmission des données relatives aux produits
. la mise à disposition des outils de vérification du code aux autorités publiques.
« Selon l’OMS et l’article 8 de son protocole, le système doit être contrôlé par l’État et ne peut être délégué à l’industrie du tabac, dont la participation doit être limitée au strict nécessaire. Ces quatre étapes doivent donc être placées sous l’autorité des États et mises en œuvre par un ou des prestataires totalement indépendants des fabricants de tabac.
•• « Or la France, qui a pourtant ratifié le protocole le 30 novembre 2018, ne respecte pas ces règles. A contrario, le gouvernement a publié dans le Journal officiel du 9 mars 2019 un décret qui entérine le système européen. Ce dernier est moins contraignant puisque d’après la nouvelle réglementation de la directive européenne relative à la traçabilité du tabac datant du 3 avril 2014 et qui entrera en vigueur le 20 mai prochain, seule la première étape doit être indépendante des fabricants de tabac. Les trois autres sont placées sous la responsabilité directe de ces derniers, qui choisissent librement leurs prestataires et mènent les actions dans leurs usines. L’État français s’est donc engagé à partir de mai à imprimer un étiquetage unique des produits de tabac, tâche qui sera confiée à l’Imprimerie nationale (voir Lmdt du 24 avril 2019). Cette mesure semble dérisoire à côté du protocole de l’OMS, qui est pourtant un traité supérieur aux lois européennes.
•• « C’est pour cette raison qu’en parallèle, l’eurodéputée députée EELV Michèle Rivasi (voir Lmdt du 21 avril 2019) et le député François-Michel Lambert (voir Lmdt du 5 avril 2019), porte-parole de l’Union des Démocrates et des Écologistes (UDE), s’évertuent à alerter les politiques publiques pour lutter efficacement contre la contrebande. La première est passée à l’offensive en publiant une tribune dans Le Parisien ce dimanche.
« Selon elle, « la Commission est aux mains des lobbys », comme le montre « l’exemple révélateur du tabac ». En dénonçant la directive européenne « non seulement ubuesque, mais contraire au droit international », Michèle Rivasi menace : « je saisirai, s’il le faut, la Cour de justice de l’Union européenne pour faire appliquer ce traité en force depuis le 25 septembre 2018 ». La députée exige enfin « la transparence totale pour les cigarettiers, mais également pour les lobbyistes externes et les cabinets d’avocats », avant de conclure : « je proposerai dès juin au nouveau Parlement européen la révision de la directive tabac ».
« De son côté, François-Michel Lambert a organisé le 4 avril dernier un « grand débat national du tabac », en présence de nombreux acteurs et associations. À la suite de la réunion, il a déposé une question écrite au ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, dans laquelle il critique cette même insuffisance sur la traçabilité des paquets. Le député souhaite que la France puisse réclamer au Luxembourg le différentiel de fiscalité sur le tabac acheté dans ce pays frontalier mais consommé dans l’Hexagone. Il prône enfin la création d’une taxe mégots. Autant d’amendements qui seront déposés dans le cadre du projet de loi pour une économie circulaire et le prochain budget de la Sécurité sociale. Sans réponse, pour l’instant, du ministre.
« Les députés Michèle Rivasi et François-Michel Lambert auraient souhaité pouvoir inverser la donne avant le 20 mai, mais dans les deux cas, le délai risque d’être bien trop court. La contrebande a, semble-t-il, quelques beaux jours devant elle. »