
Ce 6 mars, un épicier de Sarlat a été condamné à neuf mois de prison devant le tribunal correctionnel de Bergerac pour vente de cigarettes de contrebande (voir 8 mai).
En avril, c’est un couple et un livreur d’origine polonaise qui ont été interpellés à 7 kilomètres de Bergerac, soupçonnés d’avoir alimenté régulièrement leur entourage en vodka et cigarettes polonaises bon marché (voir 18 avril).
Des affaires qui se multiplient, révélatrices d’un inquiétant et vaste phénomène de société qui ne se cantonne plus désormais aux grandes villes, selon un zoom de France 3 Nouvelle-Aquitaine. Rien qu’en Dordogne, entre 2022 et 2023, la brigade des Douanes de Périgueux a réalisé 73 saisies pour un total de plus d’une demi-tonne de tabac illégal.
Des chiffres confirmés par une étude menée par EY-Parthénon, qui estime qu’en 2025, 38 % des produits du tabac consommés en France seront achetés hors du réseau officiel des buralistes. Cela représente 25 milliards de cigarettes par an, et une perte estimée à 7,2 milliards d’euros chaque année pour l’État.
En 2023, les Douanes françaises ont saisi 521 tonnes de tabac, soit la consommation annuelle de 142 740 fumeurs à raison d’un demi-paquet par jour.
/ Le phénomène a quasiment doublé en cinq ans depuis 2020. « La France, c’est à peu près 50 % de la contrefaçon consommée au sein de l’Union européenne, ce qui en fait le leader européen, voire le leader mondial en termes de trafic et de contrefaçon », explique Daniel Bruquel, expert et chef du service prévention du commerce illicite chez Philip Morris France.
Le phénomène a explosé avec le confinement, en forçant les consommateurs qui avaient l’habitude d’aller s’approvisionner « raisonnablement » à l’étranger pour leur consommation personnelle à trouver d’autres expédients, explique Daniel Bruquel.
Ils se sont rabattus sur les réseaux sociaux (Snapchat, Facebook, etc.) et la contrefaçon en vente sur les points de deal à la sauvette ou encore dans les épiceries en « boum » depuis quelques mois.
Selon lui, l’explication tient d’abord aux taxes de 85 % qui font grimper le prix du paquet de cigarettes à 13 euros, quand la contrefaçon n’en coûte que 5 ou 6.
Ce marché noir massif et parfaitement structuré permet une économie parallèle mafieuse d’autant plus prisée par les trafiquants que les risques sont bien moins élevés que pour le trafic de drogue. Ce qui n’empêche pas les trafics mafieux de tabac d’être liés aux blanchiments d’argent des stupéfiants et de la traite humaine via des « commerces de façade ».
Le consommateur, lui, n’y voit qu’un intérêt financier immédiat, sans avoir le sentiment de commettre un véritable délit.
/ (…) Tabac en vrac, sans marque, vendu dans des sacs en plastique, cigarettes de contrebande achetées légalement mais en grande quantité à l’étranger, paquets de cigarettes contrefaits dans des ateliers clandestins, parfois en France : quelle qu’en soit l’origine, les cigarettes sont ensuite revendues via les réseaux sociaux, dans les bars à chichas, des kebabs, des épiceries de nuit, dans des barber-shops ou dans la rue, à des prix défiant toute concurrence.
Dans certaines villes dans lesquelles les professionnels du tabac ont enquêté, à Montpellier par exemple, ils affirment que 80 % des épiceries de nuit vendraient du tabac illégal.
Le chiffre d’affaires des buralistes officiels part progressivement en fumée : leurs ventes auraient récemment baissé de 10 %.
La quasi-totalité d’entre eux imputent ces pertes non pas à la baisse de la consommation, mais uniquement au marché illégal.
Selon Santé publique France, en 2022, 31,8 % de la population majeure consommait du tabac, soit le même taux que cinq ans auparavant, malgré les hausses fiscales et les baisses des ventes des buralistes.
/ Face à l’ampleur croissante du phénomène, cigarettiers et buralistes dénoncent le manque de moyens de lutte, le cloisonnement entre Douanes, forces de police et justice, et l’absence d’une harmonisation fiscale européenne qui limiterait le trafic transfrontalier.
En Dordogne, le 16 mars dernier, Stéphan Picaglia, le président de la fédération des 267 buralistes de Dordogne, avait adressé un courrier à la préfète Marie Aubert, pour demander des contrôles renforcés face aux risques d’agression, mais aussi « qu’un accent particulier soit mis sur les vendeurs illégaux de tabac, notamment les épiceries de nuit » (voir 12 décembre 2024).




