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26 Juin 2018 | Profession
 

En association avec la revue spécialisée Management, Capital.fr vient de publier une « étude de cas » sur la stratégie de British American Tobacco. Nous vous en présentons les principaux développements.

•• Énoncé du problème : subissant la double concurrence du marché parallèle et du vapotage, pris sous le feu des accusations et des polémiques, l’industrie du tabac est à la peine.

Devenu le deuxième fabricant mondial (hors marché chinois) à coups de rachats géants, British American Tobacco (BAT) peut- il s’appuyer sur cette seule puissance industrielle pour assurer son avenir ? En Europe et en France en particulier, le groupe reste distancé par Philip Morris, propriétaire de Marlboro. Au QG européen de la Défense à Paris, comment l’équipe dirigeante peut-elle profiter sur le terrain de l’agressivité capitalistique de la maison mère alors qu’elle est assiégée de toutes parts ?

•• Trois solutions s’offraient à lui :
• aller de l’avant en renouvelant l’offre et l’image de ses marques ;
• lancer une offensive commerciale pour gagner des parts de marché ;
• faire le dos rond en espérant que le marché se stabilise.

•• Le groupe a choisi l’option numéro 1, la plus offensive. « Je n’ai sans doute jamais été si optimiste ! Nous sommes en train de connaître une révolution, c’est une période extraordinaire à vivre. » Provocation, cynisme, méthode Coué ou message subliminal lancé aux multiples adversaires du tabac ? Peut-être tout cela à la fois, mais Éric Sensi-Minautier, directeur des affaires publiques et juridiques pour l’Europe de l’Ouest, affiche aussi une belle confiance dans l’aptitude de British American Tobacco à renverser la situation.

Certes, depuis que le Brésilien Nicandro Durante a pris les commandes du groupe britannique en 2011, il a démontré que celui-ci avait les reins solides et, surtout, la capacité financière de surclasser ses concurrents. Les dernières années ont en effet été ponctuées par une multitude d’achats, se chiffrant souvent en milliards de dollars. Mais c’est le rapprochement, payé au prix fort en 2017, avec l’américain Reynolds (Camel, Pall Mall …) qui lui a permis de franchir un cap décisif et de devenir le deuxième acteur mondial hors Chine (voir Lmdt du 20 juillet 2017).

•• La force de frappe industrielle n’efface cependant pas toutes les incertitudes. Les marques du groupe sont beaucoup moins fortes en Europe, et surtout en France, que celles de Philip Morris. Et même si l’interdiction de la publicité n’est pas partout aussi rigoureuse qu’en France, le marketing est devenu un exercice très compliqué sur ce marché.

Depuis 2017, l’obligation du paquet neutre – la marque n’apparaît plus qu’en petits caractères, sans aucune distinction de couleur ou de logo – ne simplifie pas les choses. « Le consommateur tend alors à se rabattre sur les plus gros acteurs », assure Élodie Marchand, responsable de la communication de BAT France, « cette mesure profite donc aux leaders. » La perspective d’un paquet à 10 euros et la progression de l’ecigarette, qui a déjà séduit plus de 4 % des Français, assombrissent un peu plus le tableau.

•• Les dirigeants de BAT en Europe ont décidé d’envisager cette crise à la manière des Chinois, la traduction de ce terme en mandarin désignant aussi l’occasion de changer les choses. « Notre réponse à cette situation, c’est l’innovation ! » lance Éric Sensi-Minautier. Organisation plus homogène des filiales ; renouvellement des équipes ; accélération des recherches sur des produits alternatifs : depuis quelques mois, le groupe s’est remobilisé.

L’heure n’est plus à tenter de contredire ceux qui dénoncent la nocivité du tabac, mais à emboîter le pas des consommateurs qui aspirent à passer à autre chose : la cigarette que nous connaissons aujourd’hui ne s’est imposée que vers 1890, alors qu’on consomme du tabac et de la nicotine depuis quatre siècles, notamment sous forme d’infusion.

•• D’autres modes de consommation pourraient donc être mis au goût du jour, tel le snus (autorisé en Suède, mais interdit dans la plupart des pays européens), une poudre de tabac humide que l’on place entre la gencive et la lèvre supérieure. D’autres produits, commercialisés au Japon, s’inspirent du principe du vapotage, à la différence près qu’on réchauffe le tabac. L’industriel affirme qu’on évite ainsi de le brûler, mais qu’on le vaporise suffisamment pour libérer la nicotine et en réduire les fumées, principale source d’effets cancérogènes (voir Lmdt du 31 août 2017).

En France, l’argument est contesté par l’Alliance contre le tabac, qui affirme que les vapeurs recèlent elles aussi des éléments toxiques. L’e-cigarette s’annonce néanmoins comme l’un des piliers de la transformation du groupe, qui investit des centaines de millions d’euros dans des produits plus qualitatifs que les premiers modèles, notamment l’e-Pen Vype, au design léché et dont l’utilisation rappelle la cigarette classique (voir Lmdt du 18 mars 2016).

•• Éric Sensi-Minautier se montre assez excité à l’idée de relever le défi. « Jusqu’ici, dans l’industrie du tabac, les innovations ne se produisaient qu’une fois tous les quarante ans. Nous entrons aujourd’hui dans un autre univers, celui de l’électronique. » Il va donc falloir assurer des cycles de lancement beaucoup plus courts, avec des moyens de communication et de marketing adaptés (l’e-cigarette est, elle aussi, interdite de publicité en France), tout en soignant le design et l’intelligence du produit. « Nous continuons de faire le même métier, mais dans une ambiance positive et confiante », conclut le dirigeant, qui se félicite d’animer des équipes jeunes (34 ans d’âge moyen) et très internationales. Une trentaine de personnes sont même venues, l’an dernier, grossir les rangs du groupe en France, dont certaines recrutées par l’intermédiaire de Snapchat ou de LinkedIn.