Première femme dirigeante du PMU, Emmanuelle Malecaze-Doublet est aussi, à 35 ans, la plus jeune directrice générale de son histoire. Cela fait maintenant un an qu’elle s’est installée à la tête de ce groupement économique presque centenaire, porte d’entrée des paris hippiques pour des millions de Français sur tout le territoire.
Premier bilan et nouveautés sont au menu d’un long interview dans Capital (voir 24 août). Extraits …
• Capital : Votre réseau de vente a été particulièrement touché par les émeutes. Quelle est l’étendue des dégâts ?
Emmanuelle Malecaze-Doublet : Le premier dégât est psychologique, comme je l’ai constaté en rencontrant des commerçants frappés par ces destructions.
C’est ici que notre rôle prend tout son sens. Ce sont plus de 240 commerçants partenaires, bars-tabacs PMU, qui ont été vandalisés, sur 13 500. Les individus sont venus pour les cigarettes et ils ont parfois tout cassé. Plus de 1 000 équipements ont été détruits, comme les caisses et les bornes qui permettent les prises de paris. En termes d’enjeux, cela se chiffre à plusieurs millions d’euros. Sachant que ce réseau de points de vente est particulièrement important pour nous: c’est le cœur du PMU. C’est la raison pour laquelle nous avons mobilisé 200 personnes dès les premiers jours, des commerciaux qui sont allés sur le terrain mais aussi des techniciens ou du support par téléphone.
• Capital : Vous avez annoncé un plan d’aide à ces buralistes vandalisés. En quoi consiste-t-il ?
E. M-D : La priorité, c’est de rééquiper les points de vente. Cela prend du temps, mais 60 % de nos commerçants avaient déjà rouvert fin juillet. Nous allons aussi nous montrer flexibles sur les avances de trésorerie, et flécher notre fonds de développement aux commerces qui ont besoin de faire des travaux et qui sont restés fermés longtemps. Enfin, au dernier trimestre, nous mettrons en place des animations pour faire revenir les clients et des mesures incitatives comme une hausse temporaire des commissions (voir 7 juillet).
• Capital : Ce coup dur est intervenu en pleine reprise post-Covid. Le rebond d’activité est-il menacé ?
E. M-D : Nous sommes de nouveau en croissance avec, à fin juin, des enjeux hippiques en hausse de 7 % par rapport à 2019, et de 2,6 % par rapport à l’année dernière. Depuis le Covid, les gens se déplacent un peu moins mais dépensent plus, le panier moyen est plus élevé. Nous ne percevons pas, aujourd’hui, d’effets négatifs de l’inflation sur les enjeux.
• Capital : Malgré tout, vous avez perdu la moitié de vos parieurs depuis dix ans. Comment comptez-vous inverser la tendance et diversifier une audience, plutôt masculine et senior ?
E. M-D : Comme je le disais précédemment, nous avons renoué avec la croissance. J’ai aussi fixé fin 2022 un plan à trois ans dont l’objectif est de remettre l’hippisme dans le quotidien des Français et de recruter un 1 million de clients de plus d’ici 2025, ce qui signifie passer d’environ 3 à 4 millions de clients. Cela passe par beaucoup d’investissements, de créativité et de modernisation de notre image de marque mais pas seulement.
• Capital : Seuls 15 % de votre chiffre d’affaires est réalisé en ligne, contre 85 % dans les points de vente physique. Comment combler ce retard ?
E. M-D : Je crois à la complémentarité des expériences. Ce sont les mêmes clients qui vont dans leurs points de vente retrouver leurs amis et qui jouent sur leur téléphone quand ils sont chez eux, dans les transports ou en vacances. Après, bien sûr, le numérique est un canal en très forte croissance depuis le Covid puisque nous avons dépassé le milliard d’euros d’enjeux. Mais l’un ne va pas remplacer l’autre.
Quand vous allez dans un bar PMU, il y a de la convivialité et une course à regarder toutes les dix-sept minutes. C’est un vrai spectacle vivant. Donc on investit aussi dans notre réseau de points de vente. Nous allons en ouvrir 1000 nouveaux par an dans les trois années qui viennent. Cela représente 40 millions d’investissements sur les équipements, le merchandising et l’expérience.
• Capital : Un nouveau concept, que vous nous dévoilez, fera partie de ces investissements. En quoi consiste-t-il ?
E. M-D : Nous allons effectivement lancer de nouveaux bars PMU qui s’appelleront les Paris Mutuels Urbains et que nous dévoilerons en octobre. Il s’agira de bistrots à la française modernes et intemporels, en centre-ville, premium. Pour moitié, ce seront des ouvertures dans de nouveaux lieux et pour l’autre moitié des bars qui sont déjà partenaires, sélectionnés en fonction de leur standing.
Il y a une charte graphique et nous les accompagnons dans les travaux, les meubles, la signalétique. On veut que ce soit un lieu ouvert à tous, nos clients, les femmes, les jeunes. Nous voulons aussi lancer des produits innovants technologiquement.
Capital : Vous avez justement lancé, en janvier, Stables, un jeu Web3 dédié à une nouvelle clientèle. Pour quel résultat ?
E. M-D : Un franc succès ! Avec Stables, les joueurs peuvent devenir propriétaires virtuels de vrais chevaux en les achetant en NFT (voir 2 avril). Ils récoltent des points en fonction de leurs performances dans les courses réelles, et aussi en les engageant sur des courses fantasy.
Non seulement nous avons vendu nos 6666 NFT en moins de soixante-douze heures, mais en plus le taux d’engagement dépasse 80 %, et nous comptons plus de 30 000 membres actifs dans la communauté. C’est à 60 % une clientèle plus jeune et internationale, en Asie, aux États-Unis et en Angleterre. Mais on va développer aussi d’autres offres plus proches de nos parieurs actuels.
• Capital : L’une d’elles devrait concerner le Quinté+…
E. M-D : Effectivement, et nous la préparons pour cet automne. Le Quinté+ est notre produit emblématique, proposant une course par jour où les joueurs désignent les cinq premiers chevaux. C’est celui qui génère les plus gros gains, avec 200 gagnants à plus de 100 000 euros l’an dernier, dont deux à 1 million d’euros. Il regroupe un maximum de nos joueurs, à la fois des parieurs expérimentés qu’on appelle turfistes et des occasionnels, moins experts.
Par le passé, le PMU a essayé toutes sortes d’options, sans parvenir à convaincre tout le monde. La nouvelle formule que nous avons imaginée devrait satisfaire les deux cibles (…)
• Capital : Quelles mesures prenez-vous pour lutter contre l’addiction des joueurs ?
E. M-D : Protéger nos joueurs contre le jeu excessif est un enjeu majeur pour nous, même si ça reste très minoritaire. Il y a une vingtaine de personnes aujourd’hui au PMU qui travaillent sur ce sujet-là. On met en place des modèles qui permettent de prédire si un joueur peut dériver et on adapte nos communications en cessant l’envoi de promotion et en l’orientant vers les bonnes personnes. Antoine Griezmann a fait d’ailleurs des vidéos sur les réseaux sociaux pour promouvoir le jeu responsable.
• Capital : Le rachat de Zeturf par la Française des jeux va renforcer la concurrence. Est-ce une menace ?
E. M-D : Nous regardons ça de près mais l’opération n’est pas encore faite. C’est effectivement le deuxième plus gros acteur hippique sur le numérique face à nous. Nous estimons que la concurrence est saine. Cela prouve aussi que le marché est attractif et dynamique. C’est positif et j’ai toute confiance sur le fait qu’on saura s’adapter (…). Photo : Capital