« Je rêve du jour où je devrai rappeler aux gens que Philip Morris International vendait des cigarettes » …
Le Polonais Jacek Olczak, patron des opérations de Philip Morris International (PMI) depuis trois ans, prend ce jeudi les rênes du numéro un mondial du tabac, comme nous l’avons annoncé ici même (voir 14 décembre 2020).
Dans les colonnes du Figaro, il est convaincu que « l’évolution naturelle, à long terme, de PMI sera celle d’une entreprise de bien-être et de lifestyle ». Après 25 ans de maison, le successeur d’André Calantzopoulos prépare déjà cette nouvelle étape.
•• Il estime que l’expertise acquise par PMI dans les sciences de la vie et les technologies d’inhalation, alliée à sa capacité à faire évoluer les comportements des consommateurs, peuvent l’amener « au-delà de la nicotine ». Il prévoit de tirer 1 milliard de dollars de revenus de produits sans nicotine d’ici à 2025 reprend Le Figaro.
PMI lorgne le domaine des plantes et les produits d’aide au sommeil, de concentration … Il s’intéresse aussi aux applications médicales des technologies d’inhalation qu’il a développées.
Enfin, il n’exclut pas la piste du cannabis thérapeutique. Il a investi dans une société israélienne de dispositif médical, Syqe, qui a conçu un appareil soulageant la douleur à partir de mélanges de cannabis, de THC et de CBD, affirme encore le quotidien.
•• Une vraie révolution pour l’inventeur de la Marlboro. Philip Morris va plus loin que la vision esquissée en 2016 d’un « avenir sans fumée » et l’objectif de remplacer les cigarettes par des produits moins nocifs, avec ou sans tabac.
Une mue imposée par l’évolution rapide des mentalités et de l’environnement réglementaire. En quelques années, les géants du tabac, qui avaient bâti leur succès autour d’un produit unique – la cigarette – se sont retrouvés stigmatisés. Paquet neutre, hausse de la fiscalité, augmentation des prix … sont venus remettre en cause leur stratégie. Même les cours de Bourse se sont effondrés.
Face à la baisse de consommation du tabac, l’offre classique n’a pas suffi à stopper l’hémorragie des ventes. Les cigarettiers ont été contraints de se réinventer.
•• PMI a choisi un virage à 360 degrés. Une ambition accueillie avec incrédulité par les ONG et associations de lutte contre le tabac. « Qui pouvait nous croire au début » s’interroge Jacek Olczak, « il faut reconnaître que nous étions – et sommes – confrontés à beaucoup de scepticisme. Nous avons décidé de miser sur la science en investissant plus de 8 milliards de dollars pour démontrer le bienfondé de notre approche ».
PMI a fait de cette transformation le cœur de son nouveau modèle économique. « Il y a cinq ans, nous partions de zéro, raconte le dirigeant. Aujourd’hui, les produits sans combustion représentent plus d’un quart de nos revenus (voir 21 et 28 avril 2021). D’ici à 2025, nous voulons continuer à inverser la tendance. Ils devront peser plus de la moitié de notre chiffre d’affaires. C’est déjà le cas dans six pays. »
L’an passé, cette activité a généré 6,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires. L’essentiel de ces revenus provient d’IQOS, un appareil fonctionnant sur batterie qui chauffe le tabac sans le brûler afin de produire – sans combustion – un aérosol contenant de la nicotine. IQOS est au cœur de la stratégie de PMI, quand les autres cigarettiers ont choisi de miser sur l’e-cigarette pour engager leur mue.
« C’est le produit qui a l’impact le plus net et définitif sur l’arrêt de la cigarette » explique Jacek Olczak, « notre défi est de faire en sorte qu’il soit adopté bien plus massivement encore par les fumeurs ». Sur les 17,6 millions de personnes qui l’ont utilisé, 12,7 ont arrêté de fumer.
Si l’entreprise n’a pas été la première à se lancer sur ce créneau, elle en est le leader, avec 80 % de parts de marché (hors États-Unis et Chine). Déjà présent dans 64 pays, il sera déployé dans 100 pays d’ici à 2025.
•• Au second semestre, une nouvelle génération de système de tabac à chauffer, Iluma, qui intègre davantage d’électronique et dispense l’utilisateur de l’étape fastidieuse du nettoyage, complétera cette offre. Avec cette nouvelle gamme, PMI espère « convertir définitivement » jusqu’à 90 % des utilisateurs.
En retard sur les autres cigarettiers sur le vapotage, PMI prépare aussi le lancement de son propre système d’e-cigarette. D’ici à la fin de l’année, Veev sera déployé dans 20 pays.
« Il y a cinq ans, nous avions prévu d’avoir trois à quatre types de produits dont l’e-cigarette que nous déploierions progressivement en fonction de la maturité de nos marchés » justifie Jacek Olczak.
Veev s’appuiera sur le même circuit de distribution qu’IQOS, un vaste réseau composé de 259 boutiques IQOS, de plus de 2 000 points de vente exclusifs et de 3 800 revendeurs. PMI compte se démarquer de ses rivaux par le niveau de sécurité du produit, en particulier vis-à-vis des jeunes. Chaque appareil sera verrouillé, accessible uniquement grâce à un mot de passe.
Pour cibler différents moments de consommation, PMI parie aussi sur les sachets de nicotine que l’utilisateur glisse sous sa lèvre supérieure. Un format plus discret et économique, prisé des jeunes. Il prévoit de se lancer dès cette année sur ce marché, déjà florissant en Europe du Nord.
•• Pour accélérer sa mue, PMI a dû transformer sa culture d’entreprise et s’inspirer des géants de la grande consommation. « Nous avons ajouté cette dimension de proximité avec le consommateur, raconte le dirigeant. Il n’y a pas un jour où nous ne menons pas des tests ou des discussions avec des clients pour cerner leurs attentes et analyser leur satisfaction à l’égard de nos produits ».
En trois ans, PMI a recruté 45 % de nouveaux talents au sein de son équipe dirigeante. 20 % de ses managers viennent des secteurs de la consommation, de la santé ou de la Tech. Il a aussi bâti de toutes pièces un département de R&D de 400 personnes.
•• Cette diversification passe mal auprès des opinions publiques et des gouvernements de nombreux pays. L’image de PMI reste ternie par les millions de morts du tabac.
Or, pour poursuivre sa transformation, l’entreprise a besoin d’un assouplissement réglementaire. Elle déplore que dans des pays comme la France le vapotage ne soit pas promu par les pouvoirs publics dans la lutte antitabac. Les millions de dollars dépensés en lobbying ne suffisent pas à changer la donne.
Pour prêcher la bonne parole, PMI a créé en 2017 une Fondation pour un monde sans fumée, qui a recruté des pointures de la science. Mais il reste banni des principaux cénacles.
« Notre principal défi reste l’absence de dialogue avec certaines autorités sanitaires qui refusent de nous parler parce que nous sommes un industriel du tabac » lâche Jacek Olczak. Il nous est toujours impossible d’avoir un débat, même public, avec l’OMS ou avec certains gouvernements sur les alternatives au tabac ».