Dans un interview au Dauphiné Libéré, le président de l’Alliance contre le Tabac, Loïc Josseran (voir 7 octobre 2023 et 3 novembre 2022), réfute le constat – qualifié d’« alarmiste » – des industriels du tabac sur une « prétendue » (sic) explosion du marché illicite (voir 9, 12 et 16 septembre 2024).
• Est-ce que vous partagez le constat des industriels du tabac, selon qui les contrefaçons de tabac ont bondi ?
•• Loïc Josseran : Il y a longtemps qu’ils ne nous avaient pas proposé une telle manipulation. Leurs chiffres ne visent qu’à une seule chose : vouloir casser la dynamique de prévention, et notamment celle d’augmentation des prix, parce qu’ils savent très bien que c’est ce qu’il y a de plus efficace.
Les seules données qui font référence ce sont celles proposées par Santé publique France et l’OFDT, qui nous disent que 80 % des achats de tabac en France s’effectuent chez le buraliste et 15 % dans les pays transfrontaliers. Sur les 5 % restants, il y a un peu de vente à la sauvette mais on est loin de l’idée d’une France envahie par le trafic. On cherche à nous faire croire que le tabac frelaté serait le problème alors que le problème, ce sont les industriels.
• Que voulez-vous dire par là ?
•• Loïc Josseran : Le tabac, qu’il soit contrefait ou pas, c’est de toute façon un poison mortel. Cette campagne (de l’Unifab) lancée ce mardi laisse supposer que celui acheté chez le buraliste ne pose aucun problème, alors qu’il va tuer une personne sur deux (voir 18 septembre 2024).
Expliquer qu’on va fumer de la mort au rat en achetant des cigarettes de contrefaçon, c’est une vaste fumisterie : il y a déjà plus de 4 000 produits toxiques dans la cigarette qu’on achète chez le buraliste.
Avec ces arguments qui n’ont absolument aucune valeur, on veut faire peur aux décideurs politiques alors qu’on tue déjà des gens avec le tabac : 78 000 par an pour être précis. Quand on est insuffisant respiratoire avec un cancer en phase terminale, on est loin de ces considérations.
• La contrefaçon représente quand même un manque à gagner pour l’État et les buralistes…
•• Loïc Josseran : Oui, peut-être, mais par essence l’État perd de l’argent à partir de la première cigarette vendue. Les cigarettes, c’est 15 milliards de recettes par an pour l’État mais entre 25 et 30 milliards dépensés en coûts de santé, voire 153 milliards si l’on prend en compte le coût social. Concrètement, ça nous coûte à chacun 2 500 euros par an.
• Est-ce qu’on doit toujours augmenter la fiscalité du tabac ?
•• Loïc Josseran : Bien sûr. On est encore très loin du compte quand on regarde ce que coûte un paquet dans d’autres pays. Les augmentations de prix deviennent assez minimes, ce qui suffit à agacer les fumeurs mais qui est parfaitement inefficace d’un point de vue de santé publique.
Il faudrait qu’on soit sur au moins un euro d’augmentation tous les ans, pour atteindre 17 euros en 2027. Dites-vous qu’en France, pour compenser le coût social du tabac, le paquet devrait être à 42 euros, donc on a de la marge.
Plutôt que de parler de marché illicite, concentrons-nous plutôt sur la vente à l’unité dans les épiceries de nuit, qui est extrêmement délétère parce qu’elle permet à des gamins d’aller acheter des clopes à un euro. C’est une porte d’entrée dans le tabagisme alors qu’on vise une génération sans tabac à l’horizon 2032.