Malgré l’impact du tabagisme sur la santé publique et sur l’environnement, la lutte contre cette pratique est délaissée par les institutions de l’Union européenne, déplore, dans une tribune au Monde.fr (« Débats »), l’Alliance contre le Tabac / ACT et une cinquantaine d’associations françaises et européennes actrices dans la lutte contre le tabagisme. Extraits.
Avec près de 27 % des cancers qui lui sont imputables, le tabagisme représente le plus grand risque sanitaire évitable dans l’Union européenne (UE) Il faut y ajouter l’impact considérable de son industrie sur l’environnement : déforestation, dégradation des sols, pollution… Les mégots constituent aujourd’hui le déchet plastique le plus retrouvé sur les plages de l’Union européenne.
Or, malgré cet enjeu sanitaire, environnemental et sociétal majeur, le sujet est aujourd’hui délaissé par les institutions de l’Union européenne, en particulier par la Commission, qui n’a fait que retarder depuis plusieurs années et sans réelle explication la révision des principaux textes concernés. Il est urgent que la prochaine mandature se saisisse en priorité de ce sujet qui provoque encore aujourd’hui la mort de 700 000 personnes par an en Europe.
Deux principaux textes réglementent la commercialisation des produits du tabac et de la cigarette électronique dans l’Union européenne : la directive sur la taxation du tabac et la directive sur les produits du tabac. Fiscalité, publicité, présentation et composition des produits, interdiction de vente aux mineurs… Ces textes sont essentiels pour la régulation de ce commerce mortifère. Leur dernière mise à jour remonte pourtant à plus de dix ans.
Il en résulte que ces textes sont en décalage avec la réalité du marché depuis le développement par l’industrie de nouveaux produits du tabac et de la nicotine : tabac chauffé, diversification des cigarettes électroniques, sachets de nicotine… C’est ce décalage qui a notamment obligé la Belgique et la France à devoir justifier auprès de la Commission européenne leur volonté d’interdire la cigarette électronique jetable, en raison de sa promotion volontairement ciblée sur les jeunes et de son impact écologique majeur.
•• Démission de la Commission
Plusieurs sujets souffrent d’un manque d’harmonisation au niveau européen et nécessitent à ce titre une révision urgente, en particulier la fiscalité de ces nouveaux produits, l’encadrement des arômes de la « vape » ou l’interdiction des sachets ou des billes de nicotine.
Tout aussi grave : d’autres dispositions sont en contradiction directe avec la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac dont l’Union européenne est pourtant signataire. C’est le cas pour le système de traçabilité des produits du tabac qui n’est aujourd’hui toujours pas indépendant de l’industrie.
La Commission européenne avait pourtant adopté, dès 2022, le plan européen pour vaincre le cancer avec l’objectif d’une « génération sans tabac » pour 2040, c’est-à-dire de réduire la part de la population qui consomme du tabac en Europe à moins de 5 %.
La feuille de route pour sa mise en œuvre prévoyait initialement une révision rapide des deux directives : en 2022 pour celle sur la fiscalité du tabac et en 2024 pour celle sur les produits du tabac. Or, non seulement ces textes n’ont pas été révisés mais la Commission a récemment et discrètement publié une nouvelle version de cet agenda où la révision des directives est aujourd’hui repoussée à des dates non précisées, et cela sans aucune explication de la part de l’administration européenne.
Cette mise en suspens, voire cet abandon, par l’Union européenne de ses travaux sur le tabac arrive quelques mois après un autre renoncement de la Commission européenne, celui de publier une mise à jour d’une recommandation sur les « Environnements sans tabac » concernant notamment la protection à l’égard du tabagisme passif. Cette démission de la Commission européenne et de sa présidente, Ursula von der Leyen, est particulièrement inquiétante pour l’avenir de la lutte contre le tabagisme en Europe.
•• Manque de transparence
L’abandon de ces mesures de santé publique cruciales pose de nouveau la question de la perméabilité des institutions européennes à l’influence de l’industrie du tabac. Cette dernière dépense encore, dans l’Union européenne, près de 20 millions d’euros et emploie plus de deux cents personnes chaque année pour influencer les politiques de santé publique à Bruxelles.
Cette interrogation fait aussi écho à l’alerte lancée l’année dernière par Emily O’Reilly, la médiatrice européenne. Les résultats de son rapport publié en 2023 démontrent un manque de transparence de la Commission européenne sur ses rencontres avec l’industrie du tabac, bien en deçà des standards imposés par le droit international. Dans un éditorial publié le 4 avril sur le site Internet Social Europe, la médiatrice s’inquiète de l’influence des lobbys du tabac et de ses effets néfastes sur les politiques de santé publique européennes.
Or, la convention-cadre de la lutte antitabac de l’OMS énonce le principe d’un « conflit fondamental et inconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique ». Son article 5.3, visant à protéger les politiques publiques de l’influence des intérêts commerciaux de l’industrie du tabac, préconise notamment aux parties de limiter les interactions entre décideurs publics et l’industrie du tabac au strict minimum et de garantir la transparence de celles qui ont lieu.
Le fait de retarder ou de dissuader l’introduction ou la révision de la législation antitabac est une des stratégies privilégiées par les lobbys du tabac. Chaque année supplémentaire de report de ces mesures essentielles pour l’encadrement de ce commerce est une année gagnée pour une industrie dont les bénéfices reposent sur l’entrée de nouveaux consommateurs dans l’addiction à ses produits.
Les candidats européens doivent se saisir de ce sujet pour que la prochaine mandature européenne parvienne à l’objectif fixé d’une génération sans tabac en 2040.
Premiers signataires : Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer, France ; Silvano Gallus, chercheur, Istituto Mario Negri, Italie ; Jésus Gonzalez, président de la Société de pneumologie de langue française, France ; Gérard Helft, président de la Fédération française de cardiologie ; Loïc Josseran, président de l’ACT-Alliance contre le tabac, France ; Danielle Van Kalmthout, coordinatrice à l’Alliance belge pour une société sans tabac, Belgique ; Hervé Martini, vice-président d’Addictions France ; Mark Murphy, responsable de plaidoyer, Irish Heart Foundation, Irlande ; Lilia Olefir, présidente de la Smoke-Free Partnership ; Cornel Radu Loghin, secrétaire général, European Network for Smoking Prevention – ENSP.